Les Chroniques de l'Imaginaire

Pays perdu - Jourde, Pierre

Un soir de février, une voiture circule en pleine campagne auvergnate sur une route sinueuse au milieu des montagnes, des bois, des champs et des hameaux désertés. À l’intérieur, deux frères revenus au pays de leur enfance pour toucher l'héritage d'un vieux cousin solitaire. Ils se dirigent lentement vers la maison paternelle et ce village, dans ce pays perdu au milieu de nulle part où rien ne change. L'autre but inavoué de ce voyage est de fouiller de fond en comble la maison du cousin Joseph à la recherche du trésor. Impossible qu'un vieux garçon comme lui n'ait pas laissé un pactole bien caché quelque part. C'est la croyance de ce pays, chaque maison a un trésor amassé par des générations de travailleurs qui n'attend que d'être découvert.

Mais leur projet d'exploration va être chamboulé par l'enterrement d'une jeune fille du village. C'est la fille des voisins, des amis de longue date, qui demandent à Pierre de porter le cercueil jusqu'au cimetière. Dans ces campagnes, c'est un honneur, une reconnaissance de vous demander d'être porteur lors d'un enterrement. La veillée funèbre est l'occasion pour le narrateur de revenir sur son enfance, sur son père et surtout de se pencher sur la vie dans cette campagne rude et ses habitants rugueux, isolés qui peuvent paraître rustres mais qui lorsqu'on les connaît sont plutôt attachants.

Pierre Jourde dans ce court roman nous décrit la vie de cette campagne perdue, il décrit magnifiquement ces paysages isolés et désolés parfois, ces routes qui ne mènent nulle part, cette vie d'un autre âge où le temps n'a pas beaucoup d'importance. L'auteur ne nous cache rien de la vie rude de ses habitants, de leur travail difficile de la terre, de leurs habitudes, mais aussi de leurs travers. Pour qui connaît cette vie et ces campagnes, l'alcool tient une place importante, le petit canon est une tradition et refuser un verre est très souvent mal pris. On se retrouve chez les uns ou les autres, et pour délier les langues et oublier l'ennui qui guette, trinquer est une habitude voire une obligation qui révèle des comportements souvent drôlatiques et parfois certains errements. L'auteur nous décrit les rapports entre villageois et entre les villages, il nous parle des haines tenaces entre familles, des trahisons, des secrets de famille mais aussi des petites histoires touchantes de certains personnages qui ont eu une vie étonnante restée cachée de tous ou presque. La solitude est présente voire omniprésente, la description des hameaux qui se vident de leurs habitants, les maisons abandonnées qui abritaient tant de vie avant, rendent le récit encore plus touchant et l'on sent la tristesse qui nous gagne devant la disparition petit à petit de ce monde paysan d'autrefois.

C'est beau, l'écriture est belle, poétique et la mélancolie perce souvent durant le récit. Pour moi qui connaît la Creuse, une campagne assez similaire proche de l'Auvergne, j'ai pris ce roman comme un hommage à ses habitants et une déclaration d'amour pour ces paysages et cette vie rude hors du temps et tellement éloignée de la vie citadine. J'ai retrouvé beaucoup de personnages, d'habitudes, de façons de faire et de vivre dans toutes les anecdotes contées par Pierre Jourde. Malheureusement pour l'auteur, les habitants ne l'ont pas pris de cette manière et il a dû faire face à une véritable vindicte populaire lors de son retour au village. Il a été accueilli à coups de pierre, d'insultes et un procès s'en est suivi. Les villageois ont considéré qu'il les avait trahis et qu'il n'avait pas le droit de parler d'eux et du pays comme ça car il n’était pas vraiment du village, puisqu'il n'y vivait pas à l'année et qu'il ne travaillait pas la terre comme eux. C'est dommage qu'un si beau roman ait pu inspirer autant de haines alors qu'il était censé être un hommage à cette forme de vie qui s’éteint peu à peu avec la modernité.

Si vous n'avez pas vu la trilogie Profils paysans de Raymond Depardon, je vous invite à voir ces films pour comprendre ce livre et vous plonger au plus près de la réalité paysanne et de cette vie qui tend à disparaître.