Les Chroniques de l'Imaginaire

Nos futurs solidaires - Collectif

Ce recueil alterne les textes de fiction, soit quatorze nouvelles, et des "conversations" tenues par à la fois des auteurs ou autrices, ou autres intervenant.es de l'Imaginaire en France, et des chercheurs ou chercheuses appartenant notamment au Laboratoire des solidarités de la Fondation Cognacq-Jay. La façon dont les différents écrits, littéraires ou non, se répondent est intéressante.

Ainsi, les premières nouvelles, comme d'une certaine façon, les dernières, du recueil, présentent les différentes facettes possibles de la notion de solidarité, et démontrent combien chacun peut être à la fois acteur/actrice et récipiendaire de la solidarité, cependant que la Conversation 1, qui les suit, vise à définir les différentes formes de solidarité, et les différents publics clés, humains ou pas :

La map d'Iris, de Li-Cam : dans l'éco-bat, tout le monde a quelque chose à donner, qu'il s'agisse de travail dans les jardins communautaires ou de rattrapage scolaire. Une jolie nouvelle sur une possible évolution de l'habitat social et du soutien aux handicapé.es, et personnes fragilisées en général.

L'affection, de Régis-Antoine Jaulin : un virus agit sur le taux d'ocytocyne et augmente de ce fait les capacités d'empathie des gens atteints.

Entrer en résonance, d'Audrey Pleynet : dans ce monde où les frontières entre les mondes parallèles sont devenues poreuses, chacun.e a une multiplicité de soi alternatifs, de doubles. Chacun.e est aussi membre d'un cercle d'inconnu.es, qui ont elleux-mêmes des doubles... Une nouvelle un peu vertigineuse, mais intéressante, sur les choix.

La Conversation 2 évoquera la vision, souvent biaisée et polarisée, à la fois des destinataires de la solidarité (handicapé.es, migrant.es, etc.) et de ses acteurs et actrices, et comment les littératures de l'imaginaire pourraient changer ça. Elle est précédée de :

Les déroutés, de Chloé Chevalier : après le bac, on n'a le choix qu'entre des futurs à la fois peu nombreux, pré-programmés, et peu enthousiasmants. Heureusement, Nour et Jean-Baptiste, au moins, pourront rester en contact. J'ai beaucoup aimé ce texte épistolaire, très agréable à lire, et très crédible tant sur le plan des personnages que du monde décrit.

L'enfant de thérapie, de Vincent Borel : Pierre a pris de la hauteur sur le monde où il est né, celui de ses parents, en devenant pilote pour Opié, la grande entreprise qui vient de donner corps au rêve transhumaniste de transfert de personnalités.

Bootz change de mode, de Catherine Dufour : Bootz cherche à se démarquer de la concurrence des autres fashion-vlogueurs. Il va y arriver de façon originale. J'ai beaucoup aimé ce superbe texte de Dufour, à la fois tendre et optimiste, ce qui ne va pas forcément de soi (contrairement à l'originalité, elle aussi présente, d'ailleurs) sous la plume de l'autrice.

La Conversation 3 démarre sur l'impératif de la solidarité, notamment inter-générationnelle, avant la fin du siècle, avant de glisser vers l'attitude face au changement climatique, tout en constatant la double tendance de la société actuelle, schizophrène entre la nécessité de la solidarité et l'émiettement. Elle est annoncée par :

Auxi', de Anne-Sophie Devriese : un cercle de personnes plus ou moins volontaires aide chaque mourant à dire adieu à ses proches.

Baobab City, de Philippe Curval : quand l'équipe d'exploration humaine débarque sur une exoplanète, il lui faut identifier ce dont elle souffre, et quels en sont les habitants, exactement. Ce texte est un mélange savant de sérieux et d'humour sur un trope 100% SF.

Reliance de Sabrina Calvo : une "santé" toujours plus automatisée et déshumanisée, jusqu'à la rencontre entre un médecin génial qui invente les lentilles de contact à base de nanites, et un ancien militaire aux yeux brûlés. Un autre coup de cœur pour cette nouvelle au beau langage poétique qui manie expertement la critique politique sur fond des grands classiques du mythe et de la littérature.

La Conversation 4 évoque les "utopies solidaires" actuellement en cours d'élaboration, ou de discussion, et les oeuvres qui en proposent. Elle est introduite par :

Les vies de Man Pitak, de Michael Roch : quand quelqu'un meurt, ses données "ascensionnent" si la personne a les moyens et peut payer un passeur honnête. Pour les autres, il y a Kelly et son équipe, et Man Pitak. Certainement la nouvelle que j'ai préférée, le parallèle vie/corps physique et vie/corps numérique fonctionne à merveille, et l'emploi d'une langue un peu créolisée ajoute encore à l'originalité de ce texte.

Un jour, tout ceci sera à toi, de Léo Henry : l'une des dernières survivantes de ce temps perdu d'avant la Révolution a choisi Perle comme gardienne de son trésor de souvenirs.

De nos corps inveillés viendra la vie éternelle, de Norbert Merjagnan : d'abord on a automatisé en l'affinant la surveillance de la santé des corps, la prochaine étape est celle des rêves. Cette nouvelle construit une dystopie originale, tout en nuances et terriblement crédible.

Enfin, la dernière Conversation est suivie par :

Eligibles, de Sylvie Lainé : participer à un concours en tant que communauté, pourquoi pas ? L'inscription est un vrai parcours du combattant, mais Léa est curieuse. Reste à trouver des membres, et à les garder... Une nouvelle à l'écriture ciselée, avec des personnages bien définis, dont la fin est prévisible, mais bien plaisante à lire néanmoins.

Six faces d'un même cube, de Ketty Steward, dépeint une société future où l'ajustement au changement climatique a créé des groupes, dont certains participants sont plus corporels que d'autres. Cette nouvelle remarquable par la finesse des détails dans la construction de l'univers fait un écho à la toute première, juste un peu plus haut dans la spirale, ce qui justifie sa place en clôture du recueil.

Les lecteurs et lectrices souhaitant en savoir davantage sur les intervenant.es liront avec intérêt les biographies sommaires figurant en postface.

Tant par son thème que par sa construction et certain.es de ses participant.es, cette nouvelle parution chez ActuSF fait écho à Nos Futurs, paru en 2020 initialement, et réédité cette année. Toutefois, l'accent est mis ici sur la façon dont les humains auront à vivre ensemble, solidairement, dans un futur plus ou moins proche. La plupart des nouvelles qui composent le recueil ont déjà été publiées ailleurs, ce qui pourra décevoir celleux qui s'attendraient à un ensemble d'inédits, et bien sûr elles présentent un intérêt inégal. Ce n'en reste pas moins une initiative à encourager de la part de cet éditeur engagé, qui publie des textes de qualité.