Quand on parle d'histoire contemporaine de l'Espagne, la discussion s'oriente le plus souvent vers la guerre civile qui opposa de 1936 à 1939 nationalistes et républicains, ou bien aux trente-cinq années de dictature franquiste qui suivirent la victoire du premier camp. Benoît Pellistrandi adopte un cadrage plus large dans ce livre où il retrace l'histoire espagnole depuis 1808 et l'invasion des armées napoléoniennes.
En suivant un plan d'ensemble globalement chronologique, il donne à voir l'émergence d'une conscience politique dans le peuple espagnol et l'opposition entre conservateurs et libéraux qui parcourt tout le dix-neuvième siècle. Au-delà des soubresauts politiques qui voient se succéder guerres civiles, coups d'État, monarchie et républiques, le livre s'attache également à décrire le développement économique et social du pays, plus lent que dans le reste de l'Europe mais loin d'être inexistant. Les spécificités des nationalismes basque et catalan, qui émergent durant cette période, ne sont pas oubliées.
La guerre d'Espagne et le franquisme sont abordés de manière précise et dépassionnée. Les atrocités de la guerre civile ne sont pas éludées, quels qu'en soient les auteurs, et le bilan des années de dictature évoque aussi bien la croissance économique du pays que la répression parfois sanglante des opposants politiques, sans oublier les premiers attentats des nationalistes basques de l'ETA. La transition démocratique qui suit la mort de Franco est racontée comme un véritable thriller politique, avec des acteurs hauts en couleur et des moments très tendus où tout ne tient qu'à un fil. Les derniers chapitres présentent l'Espagne d'aujourd'hui, avec ses institutions démocratiques solidement établies et son impressionnant rayonnement culturel et sportif mondial, mais aussi avec ses crises économiques et politiques, en partie alimentées par le poids de l'histoire récente du pays.
Les fractures de l'Espagne est un livre épais, mais au style clair et précis et dont le plan est suffisamment clair pour permettre une lecture en plusieurs fois, ou de se concentrer sur certains chapitres uniquement, sans y perdre au change. On y trouvera bien sûr les appendices indispensables à ce genre d'ouvrage (index, chronologie, bibliographie), mais on pourra regretter l'iconographie réduite à une carte en début de livre. Cela reste néanmoins une très bonne somme sur l'histoire contemporaine de l'Espagne, qui éclaire l'actualité de ce pays souvent réduit à quelques clichés.