Début des années 1990, Isaac Asimov se fait rattraper par des soucis de santé et décide d’écrire à nouveau une autobiographie. Mais comment procéder ? En effet, il ne s’est écoulé que douze ans depuis la parution de sa précédente autobiographie, en deux tomes, et il lui semble ne pas avoir fait grand-chose depuis lors. Sa femme Janet lui souffle de raconter à nouveau sa vie depuis son commencement, sous un angle différent. Exit l’approche fidèlement chronologique, l’auteur adoptera donc des entrées thématiques, à mesure qu’elles lui viendront à l’esprit.
Les six-cents pages de ce volume, écrites en l’espace de quelques mois à peine, attestent une nouvelle fois du caractère prolifique d’Isaac Asimov, de sa passion pour l’anecdote et le détail et de son amour de l’écriture. Fidèle à sa réputation, il y apparaît comme fort imbu de sa personne mais, heureusement, doté d’une grande dose d’auto-dérision et d’un grand sens de l’humour qu’il n’hésite pas à instiller chaque fois qu’il le peut. Cette combinaison lui permet d’aborder en tout franchise des sujets aussi sérieux que, pêle-mêle, le génocide juif et les discriminations, le racisme, le harcèlement scolaire, la mort, le handicap, les mariages malheureux… et de partager des opinions politiques prêtant à polémique, de manière fluide et légère. L’enchaînement des thématiques suit tout de même un ordre chronologique, ce qui permet de s’y retrouver très facilement dans les différentes périodes de sa vie.
Je dois ici avouer que, même si des livres d’Asimov ont rejoint ma bibliothèque après mon mariage, je ne m’y suis jamais plongée. On me décrivait Asimov comme un vieil auteur de SF à la sauce années 1950, sans beaucoup de personnages féminins et avec de fortes inspirations pulp, ce qui ne me paraissait pas très engageant. D’ailleurs, lui-même se décrit comme cela. Je m’en étais donc fait l’image d’un homme macho assez basique, écrivant des choses sur les robots. Pourtant, il ne faut jamais juger un livre sur sa couverture ou sur les on dit et j’ai choisi de profiter de cette réédition pour découvrir l’homme à travers ses propres mots.
L’expérience m’a-t-elle donc donnée envie de découvrir ces livres ? Oui, absolument ! Car je ne me suis jamais autant amusée en lisant une autobiographie. J’ai dévoré cet ouvrage et je confesse même avoir versé une petite larme en lisant l’épilogue rédigé par sa femme, bien entendu après la mort d’Isaac Asimov. À travers ces six-cents pages, on découvre un homme d’une grande érudition, au charme fou, dont l’éthique et la sincérité (affichée du moins) face à ses propres défauts et limites nous font bien volontiers pardonner son orgueil, bien qu’il s’avère parfois un peu cavalier vis-à-vis des femmes. Jamais les anecdotes autour de conférences ne vous sembleront aussi mordantes.
À travers ses mots, on en apprend donc plus sur sa vie, son enfance, son parcours scolaire, ses deux mariages, ses amitiés et inimitiés. C’est aussi tout un microcosme que l’on découvre : celui des auteurs de SF des années 1950, des premiers magazines dévolus à la science-fiction et de leurs évolutions, des premiers groupes de fans et conventions, des clubs, des prix…. Isaac Asimov décrit avec tendresse mais sans concession tout cet univers.
Le cœur de cet ouvrage et de la vie d’Isaac Asimov reste cependant l’écriture ; et c’est ce dont il nous parle en réalité tout au long de ces pages. Il nous confie comment il s’est initié à l’écriture, comment il a été publié, les revirements qu’il a subis, ses réussites ou échecs éditoriaux, ses habitudes de travail. Ceux qui, comme moi, ne voyaient en lui qu’un écrivain de SF, pourront donc découvrir à quel point cette vision de son œuvre est réductrice. En effet, la majorité de ses publications paraît plutôt relever de son travail de vulgarisation de contenu scientifique, dont de sciences sociales, et il s’est également consacré de nombreuses années à l’écriture d’ouvrages policiers.
Pour conclure, le titre de cette autobiographie ne pourrait être mieux trouvé car c’est bien à la rencontre d’Asimov que va le lecteur, de sa vie comme de sa personnalité. Je ne peux que le recommander à tous ceux désirant en savoir plus sur lui. Un seul risque pour le lecteur : ressortir de sa lecture avec une longue liste d’ouvrages, d’Asimov ou de ses meilleurs amis auteurs de SF, à lire de toute urgence.