Les Chroniques de l'Imaginaire

L'été froid - Carofiglio, Gianrico

Pietro Fenoglio est maréchal chez les carabiniers de la ville de Bari, au sud de l'Italie. Ce printemps 1992, la ville est agitée par de nombreux règlements de compte opposant deux clans de mafieux. La tension va atteindre son comble lorsque le fils du plus puissant d'entre-eux, Nicola Grimaldi, est kidnappé. Pietro Fenoglio est alors chargé de l'enquête même si aucune plainte n'a été déposée et que les Grimaldi nient tout enlèvement de leur fils. Tout de suite, les soupçons se portent sur Vito Lopez, l'ancien bras droit de Grimaldi maintenant en guerre ouverte contre lui. Mais lorsque la police découvre le corps de l'enfant, Lopez se rend et décide de collaborer avec la justice contre une protection et une remise de peine. Le mafieux est prêt à confesser tous les crimes qu'il a commis, meurtres, extorsions ainsi qu'à détailler le fonctionnement nébuleux de la mafia, mais il nie farouchement toute implication dans l'enlèvement et la mort de l'enfant. Assisté de Pellecchia, Fenoglio doit recueillir les confessions de Lopez et tenter de retrouver les coupables du meurtre tout en évitant un bain de sang, Grimaldi ayant lâché ses sbires pour venger son fils.

Gianrico Carofiglio est un ancien procureur de Bari spécialisé dans la mafia qui dans ce roman nous éclaire sur l'organisation de celle-ci, sur ses rites et ses codes. Il décortique le fonctionnement du système judiciaire italien et surtout l'utilisation des "repentis", sans lesquels la lutte contre les mafias aurait été vaine. Dans cet ouvrage, l'auteur arrive à mélanger avec subtilité la fiction et la réalité en mêlant à l'intrigue les assassinats des juges Falcone et Borsellino.

Un autre attrait de ce polar, ce sont les personnages. D'un côté le calme et atypique Fenoglio et de l'autre Pellecchia plus impulsif, moins civilisé et souvent à la limite de la loi. Les deux, sans aucune affinité l'un pour l'autre, vont apprendre à collaborer, à se connaître et finalement à s'apprécier. Cette dualité permet de donner un peu de piquant à l'intrigue et de nous démontrer que tout n'est pas toujours noir ou blanc dans la vie et que parfois les circonstances peuvent nous amener à sortir du cadre. Le personnage de Vito Lopez est tout aussi attrayant car il est loin du cliché du mafieux italien, intimidant ou exubérant. C'est un homme d'apparence normale mais qui est un véritable tueur sans scrupule et sans regret. Lors de ses confessions, il ne se cherche pas d'excuse ni à se justifier, il déroule le fil de sa vie tranquillement en expliquant les raisons de sa montée rapide dans la hiérarchie de la mafia.

Dans ce roman, Carofiglio nous montre que les mafieux sont loin d'être des hommes d'honneur comme ils le revendiquent, mais plutôt des assassins sanguinaires prêts à tout pour ne pas montrer la moindre faiblesse, dont le but a toujours été de maintenir leur influence sur la population par la terreur et de continuer leurs trafics sans être gênés par l’État italien.

Le rythme de l'intrigue n'est pas effréné, c'est un peu cérébral mais finalement assez captivant. L'alternance entre les passages concernant l'enquête sur les coupables du meurtre et ceux des confessions du "repenti" permet de maintenir le suspense jusqu'au bout. On ressent l'implication de l'auteur dans sa lutte contre les mafias, c'est très précis et le fait qu'il mêle de tragiques événements à son intrigue rend d'autant plus crédible son histoire. Les explications sur le fonctionnement de la mafia sont parfois glaçantes car la pitié et les dégâts collatéraux ne font pas partie du vocabulaire des mafieux.

C'est un très bon polar un peu à l'ancienne, sans esbroufe, où la psychologie des personnages est approfondie, où le sang ne coule pas à flot et où les tueurs ne sont pas des pervers adeptes de la mise en scène. Il est intéressant aussi pour sa découverte des moyens de lutte employés par la police contre la mafia et sa mise en lumière de l'omerta, règle si chère aux mafieux. Par le biais de ce roman, on découvre l'emprise de la mafia sur la société italienne, et l'on se rend compte qu'elle n'a jamais aussi bien mérité son surnom de pieuvre, en rapport avec son réseau tentaculaire d'affidés et d'affiliés.