Le Prophète et le Vizir est un recueil de deux nouvelles, l’une sur un prophète, l’autre sur un vizir : L’Ensemenceur et Les huit enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun.
L’Ensemenceur est la plus longue des deux nouvelles. Au XIVe siècle, un émir appelé Nour al-Din Malek s’attend à une invasion de la part d’un seigneur du Yemen et aimerait s’y préparer. Il a vent de rumeurs selon lesquelles les hommes nés avec des malformations, les bossus, aveugles ou boiteux, auraient la capacité d’entrevoir le futur. Il en rassemble donc à sa cour, alternant les traitements de faveur et les tortures pour les contraindre à lui révéler la date de l’attaque. Malheureusement, ces voyants sont incapables de faire des prédictions au-delà de la journée ou de la semaine. Il entend alors parler d’un pêcheur de perles de l’île de Bahreïn, capable de deviner instantanément quelles huitres contiennent des perles et affublé d’un sixième doigt à l’une de ses mains. Capturé, Kemal bin Taïmour, le pêcheur, ne va pas tarder à voir son pouvoir s’accroître à proximité des autres devins… mais bien trop pour les besoins de l’émir car il est à présent capable de prédire le futur uniquement avec plusieurs siècles d’avance. Vendu comme esclave, c’est le début d’une longue errance pour Kemal. Persuadé que son don est d’origine divine, il va tenter d’infléchir le cours de l’histoire pour épargner aux hommes les tragédies hantant ses visions.
Les huit enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun prend place à la fin et immédiatement après les événements de la nouvelle précédente. Le vizir est informé d’une prédiction du prophète Kemal. Parce qu’il a conquis la ville de Tunis sans se rendre dans une mosquée pour y prier, ses enfants sont condamnés à mourir violemment dix-huit mois après son invasion. Le vizir est bien décidé à contrecarrer le destin et à soustraire ses enfants à ce sort funeste. La venue de seigneurs Mérinides pour lui proposer une alliance va lui donner l’idée d’un plan risqué.
Ces deux nouvelles semblent s’inscrire dans la tradition du conte, tout en contenant de nombreuses références géographiques et historiques. Avec Kemal, on voyage ainsi à la fois sur tout le pourtour méditerranéen et dans son histoire, entre le XIVe et le XXIe siècle. Chaque point d’étape sur l’itinéraire de l’ancien pêcheur est l’occasion d’une rencontre avec une culture, un peuple, arabe ou chrétien, de son époque mais aussi avec le futur de ce même peuple et/ou territoire. Le concept est original mais échappe de peu à l’impression de feuilleter au hasard un manuel d’histoire. Je pense qu’il parlera plus aux lecteurs ayant déjà une connaissance, même sommaire, de l’histoire de ces territoires. La mienne étant plus que parcellaire – ce n’est pas quelque chose qu’on enseigne à l’école ou du moins, on ne l’enseignait pas lors de ma scolarité au XXe siècle – je n’ai pas pu pleinement profiter de ma lecture car j’étais un peu perdue sur les voyages de Kemal comme sur ses visions.
La seconde nouvelle est plus simple d’accès. Elle fonctionne comme un duel entre le vizir et le destin, chacun avançant ses pions les uns après les autres, les auteurs commentant les déplacements en italique après chaque « tour ». Le jeu est serré et l’engrenage impitoyable.
La chute de chacune des deux nouvelles est cruelle et implacable. En quelques paragraphes, ces dénouements cristallisent toute la puissance d’écriture des auteurs et sont sans conteste le point culminant du merveilleux dans l’une comme dans l’autre nouvelle – merveilleux au sens du genre littéraire et non du contenu de l’action.
Pour résumer, Le Prophète et le Vizir plaira aux amateurs de contes merveilleux, de voyage dans le temps et dans l’espace, de culture orientale et de héros en butte avec leur destinée.