Gideon est arrivée par hasard sur la planète de la Neuvième Maison. Sa mère a été découverte décédée, venant selon toute vraisemblance de l’espace, un nourrisson à l’abri dans sa combinaison. Gideon a donc grandi sur cette planète avec pour seule compagne de son âge Harrowhark Nonagesimus, Respectable Fille de la Neuvième Maison. Les deux fillettes ne tardent pas à devenir rivales. Harrow est une nécromancienne douée et l’héritière de sa maison tandis que Gideon, élevée par des nonnes décharnées et des morts, n’a pour seule perspective que de rester une servante toute sa vie…et d’être ensuite réanimée pour continuer cette tâche après sa mort. Or, Gideon est tout sauf soumise. À quatre ans déjà, elle essayait de s’enfuir pour la première fois. Vingt ans plus tard, elle croit bien avoir trouvé la solution pour mettre les voiles. C’est sans compter sur Harrow qui la coiffe toujours au poteau et a justement besoin de ses services : les lycteurs de l’Empereur, ses plus proches conseillers, fatiguent après avoir vécu plus de dix mille ans. Ainsi, l’Empereur cherche-t-il à les remplacer en conviant les héritiers des Maisons nécromanciennes et leurs cavaliers à se rendre sur la planète de la Première Maison. Gideon se retrouve donc involontairement bloquée avec sa rivale dans un palais décrépi où des meurtres sanglants ne tardent pas à être commis.
Gideon la neuvième est un roman déroutant et jouissif. Il entremêle des éléments de fantasy, de SF, de fantastique avec - c’est là sa grande force - des éléments de polar à l’ancienne. Au revoir le manoir anglais des Agatha Christie et la vieille Miss Marple, célibataire et bavarde, avec sa galerie de personnages de la bonne société britannique, sujets de sa Majesté. Bonjour le château spatial multimillénaire et Gideon, célibataire mais fan assumée de porno lesbien, à la parole rare mais brute de décoffrage, avec sa galerie d’héritiers des maisons nécromanciennes d’un Empereur immortel. La situation est bien différente et le parallèle pourtant possible puisqu’on est bien dans un huis-clos, dans un univers baigné de mystères et avec des personnages eux-mêmes emplis de secrets. Des indices sur l’identité du ou des meurtriers sont bien présents dans l’intrigue mais la résolution de l’enquête repose malgré tout sur une bonne part de « magie », ce qui amoindrit quelque peu sa portée.
La tournure surnaturelle prise par l’enquête n’est pas surprenante en soi, puisqu’on suit après tout les pas de nécromanciens, mais parvient à susciter une bonne dose d’angoisse. L’identité des victimes, les scènes de meurtres, les disparitions, toute cette dimension horrifique est très réussie et fait cette fois penser à des maîtres du genre horrifique, à la Masterton ou à la Clive Barker.
L’entrecroisement de la SF et de la fantasy est savoureux. À travers sa quête pour devenir lycteur, Harrow va explorer des laboratoires et centres d’études désertés et devoir y passer des épreuves en lien avec ses capacités de nécromancienne. La relation exacte entre technologie et nécromancie est encore une énigme dans ce premier tome mais s’avère fort intrigante. Je suis particulièrement friande du recours à l’archéologie dans les genres SF ou fantasy car cela confère une profondeur plus grande encore à l’univers dépeint. Gideon la neuvième ne fait pas exception à cette règle avec ses couloirs battus par les vents, ses salles inondées, ses laboratoires curieusement préservés. Une foule d’objets tombant en poussière, vestiges d’époques oubliées, apportent des indices sur la nature réelle de l’Empereur et de ses disciples sans pour autant tout dévoiler.
Une touche de romance est également présente. Le quatrième de couverture décrit l’ouvrage comme « Des nécromanciennes lesbiennes explorent un palais hanté dans l’espace ! » à travers les mots de Charles Stross, écrivain britannique de SF. Cette description n’est pas tout à fait juste : la diversité des orientations sexuelles semble au contraire plutôt bien représentée avec des personnages (féminins certes) qui ressentent en effet une attirance pour des personnes du même sexe, d’autres attirés par les deux sexes, d’autres encore par les personnages du sexe opposé, d’autres encore ne semblant attirés par personne. Donc c’est bien plus subtil que ne le laisse présager cette citation. En outre, le degré et le type d’affection des personnages entre eux varie grandement, du béguin à l'amitié fusionnelle. Il n’est d’ailleurs parfois pas facile de qualifier leurs relations : tendresse amoureuse ou amicale ? Il n’est pas sûr que les personnages le sachent non plus. C’est encore un bon point pour Tamsyn Muir, qui n’hésite pas à rendre compte de toute la complexité des relations humaines.
L’univers est travaillé, en particulier l’atmosphère de chaque maison et leurs usages différents de la nécromancie. La liste des Maisons nécromanciennes en début d’ouvrage m’a un peu effrayée de prime abord : j’avais peur de me perdre dans tous ces personnages, toutes ces caractéristiques. Cela n’a cependant pas été le cas : d’abord parce que le roman commence à nous familiariser avec la Neuvième Maison avant de nous plonger dans le grand bain ; ensuite parce qu’une fois sur le lieu des épreuves, Gideon ne tisse pas immédiatement des relations avec tous les autres participants. Or, la narration suit étroitement la jeune femme.
La relation entre Gideon et Harrow est complexe et savamment travaillée. Elle évolue bien sûr au fil du récit tout en restant parfaitement crédible.
Mention spéciale à la couverture réalisée par Tommy Arnold ! Celle-ci ne m’avait pas particulièrement inspirée quand je l’avais vue pour la première fois mais, après lecture, elle me semble très conforme à l’attitude très rock’n’roll de Gideon.
Pour son premier roman, Tamsyn Muir emprunte aux grands écrivains des temps passés pour faire de son histoire de palais hanté une vraie réussite. Fans de maisons hantées, d’enquêtes policières, de dark fantasy, de space opera et d’héroïnes rebelles, jetez-vous dessus !