Les Chroniques de l'Imaginaire

Jean Louis Bouquet : Les démons de la Kabbale (Gandahar - 31)

Ce trente-et-unième numéro de la chouette revue GandahaR est entièrement consacré à un auteur français de littératures de l'imaginaire un peu oublié aujourd'hui : Jean Louis Bouquet (1898-1978). Il travaille pendant plusieurs décennies pour le cinéma en tant que scénariste, réalisateur ou monteur et c'est surtout à partir des années 1950 qu'il se fait connaître comme écrivain. Il ne parvient cependant pas à vivre de sa plume et ses dernières années sont difficiles sur le plan personnel, même s'il bénéficie de la reconnaissance de ses pairs. Jean-Pierre Fontana vous expliquera tout ça bien mieux que moi dans l'article biographique très dense et abondamment illustré qui ouvre ce numéro.

Le reste est entièrement de la plume de Jean Louis Bouquet, à commencer par une brève note liminaire dans laquelle il expose en quelque sorte sa philosophie d'écrivain. Passionné de psychologie comme de démonologie, tiraillé entre rationalité et mysticisme, il explique vouloir emprunter les outils de la première pour mieux explorer la seconde. C'est un éclairage bienvenu pour les textes qui suivent ; dommage que la source de cette note et sa date d'écriture ne soient pas précisées.

Suivent cinq nouvelles de longueur très variée : Sous les yeux d'Akouma ne dépasse pas les dix pages, alors que Alastor ou le Visage de feu atteint les cinquante. Toutes s'inscrivent néanmoins dans une veine résolument fantastique « à l'ancienne », aussi bien dans le fond que dans la forme, et chacune met aux prises un individu avec une créature démoniaque qui constitue l'incarnation de ses désirs ou ses craintes les plus profonds. Résister à la tentation est bien difficile et les conséquences, toujours néfastes, cela va de soi.

La première nouvelle de la revue, Naamâ ou la Dive incestueuse, est celle dont la parution originale est la plus récente, puisqu'elle n'a été publiée qu'en 1979, un an après la mort de son auteur. C'est aussi celle qui m'a paru la plus datée : prenant place au temps béni des colonies, entre Batavia (aujourd'hui Djakarta) et Hong Kong, ses protagonistes blancs sont plongés dans un univers orientalisant à souhait, fait de sensualité trouble et d'autochtones bestiaux. Du colonialisme comme on n'en fait plus. J'ai peiné à m'intéresser à ce récit dont la chute est déjà prévisible à la lecture du titre.

Caacrinolaas ne souffre heureusement pas de ces défauts. S'il accuse aussi son âge, ce texte a l'avantage de prendre place entièrement en France et d'offrir donc un aperçu joliment suranné sans être problématique de la belle société niçoise d'il y a quelques décennies. Son narrateur est délicieusement haïssable et c'est un régal de le voir puni d'avoir conclu un pacte avec le démon éponyme.

Assirata ou le Miroir enchanté se distingue des autres nouvelles réunies ici pour son traitement plus bienveillant du héros. Le malheureux Ludovic, artiste raté, ne peut que se laisser séduire par le miroir magique qui semble pouvoir lui permettre de coucher enfin sur le papier les vers éternels qui lui courent dans la tête. La fin est joliment ouverte et c'est sans doute le texte dont j'ai le plus apprécié la lecture.

On retrouve avec Sous les yeux d'Akouma un protagoniste désagréable, coureur de jupons invétéré qui se retrouve pris à son propre piège, victime de la malédiction d'une petite statuette orientale. C'est un texte efficace à défaut d'être particulièrement mémorable, où le fantastique est réduit à presque rien – il faut dire que contrairement aux autres, il a d'abord vu le jour dans Ève, un magazine de presse féminine où il n'était sans doute pas possible, dans les années 1950, de laisser libre cours à son imagination si l'on voulait être publié.

La longue nouvelle Alastor ou le Visage de feu renoue avec le fantastique avec un cadre glaçant à souhait, un vieux château plein de recoins et de secrets de famille. Le héros se retrouve impliqué malgré lui dans la querelle qui oppose deux de ses amis récemment mariés : la femme est persuadée que son mari lui veut du mal, et vice-versa. C'est un excellent témoignage des talents de Jean Louis Bouquet : un texte plein de tension contenue avec une plume finement ciselée.