Les Chroniques de l'Imaginaire

Les enfants de Dune (Dune - 3) - Herbert, Frank

Cela va faire dix ans que Paul Muad'Dib Atréides a disparu dans les sables de Dune, abandonnant son empire, ses fidèles et ses deux jeunes enfants, Leto et Ghanima. Sa sœur Alia assure la régence en leur nom, mais même s'ils sont encore prépubères, les jumeaux sont loin d'être de simples enfants : comme leur père et leur tante, ils ont accès grâce à l'Épice aux mémoires génétiques de tous leurs ancêtres. C'est un pouvoir incroyable qui pourrait bien causer leur perte, car le risque est grand d'être possédé par l'esprit d'un ancêtre par trop vindicatif. Et s'il n'y avait que cela ! La cour impériale fourmille de complots en tous genres, entre les Fremen mécontents de voir disparaître leur désert et la maison Corrino qui ne rêve que de reprendre le pouvoir que lui a arraché Paul.

Troisième tome de la saga culte de Frank Herbert, Les enfants de Dune poursuit la déconstruction du mythe de l'homme providentiel amorcée dans son prédécesseur, Le messie de Dune. Cette fois-ci, il nous montre ce qui se passe quand le héros disparaît. Il suffit d'une poignée d'années sans Paul pour que l'empire galactique qu'il a édifié dans le sang sombre dans la décadence, avec un culte impérial qui tourne à vide, des intrigues mesquines qui se nouent et se dénouent pour des miettes de pouvoir sous les yeux impuissants des derniers représentants de la vieille garde, au premier rang desquels Stilgar, le vieux chef fremen.

Ce n'est pas un mauvais axe sur lequel construire un roman, mais il est difficile de se sentir concerné par ce qui ne constitue clairement que l'écume de l'Histoire, des événements sans profondeur ni réelles répercussions. Les antagonistes suggèrent par ailleurs un étrange manque d'imagination de la part de Herbert. Non content de sortir de son chapeau une princesse de la maison Corrino si ridicule qu'elle sert davantage de ressort comique qu'autre chose, il se sent obligé de faire revenir… le baron Harkonnen. Mort depuis belle lurette, l'ennemi juré des Atréides trouve quand même le moyen de prendre possession d'Alia pour en faire une méchante aussi caricaturale que lui l'était dans le Dune original. C'est d'une facilité étonnante et c'est surtout une manière franchement médiocre d'éliminer l'un des personnages les plus fascinants de la série : la sœur de Paul succombe très facilement à la possession et il est bien pratique qu'elle bénéficie d'un ultime moment de lucidité pour se donner la mort. (On applaudira au passage Jessica, la mère de l'année, qui ne revient sur Arrakis que pour condamner la fille dont elle n'a jamais pris la peine de s'occuper…)

Néanmoins, tout ceci est très secondaire dans l'histoire des Enfants de Dune qui, comme son nom l'indique, a pour protagonistes les jumeaux Leto et Ghanima. Leurs capacités mentales exceptionnelles permettent à Herbert de les faire se comporter et parler comme des adultes, et plus encore, comme des adultes particulièrement bavards et portés sur les diatribes concernant la nature du pouvoir, l'immortalité, le pouvoir des mythes, le déterminisme et le libre arbitre et autres grands sujets de philosophie. Évidemment, vu le traitement des personnages féminins, c'est Leto qui se taille la part du lion au détriment de la falote Ghanima qui est surtout là pour lui donner la réplique et acquiescer à ses plans. Les aventures de Leto dans le désert d'Arrakis, qui occupent une bonne partie de la deuxième moitié du livre, culminent avec une scène particulièrement marquante qui sème les graines du tome suivant, mais elles sont totalement dépourvues de la tension qui parcourait les scènes similaires avec Paul et Jessica dans Dune. Leur lecture s'avère en fin de compte un poil laborieuse, la faute à un manque d'enjeu total.

Les enfants de Dune marque à mes yeux le moment où la série Dune cesse d'être exceptionnelle pour devenir simplement une saga de science-fiction parmi tant d'autres. L'abandon presque total des thèmes écologiques au profit de réflexions plus abstraites sur le pouvoir et l'avenir de l'humanité ôte une bonne partie de ce qui en faisait le sel, et la taille excessive du livre (plus de cinq-cents pages) n'arrange rien. Ce sont des défauts qui n'iront pas en s'arrangeant par la suite, même si la lecture n'en devient pas une purge complète pour autant.