Les Chroniques de l'Imaginaire

Les Jaloux saboteurs - Jourde, Aurélie

Jean Pierre ne s’est jamais ennuyé au bureau. Mieux, il a même développé tout un tas de stratagèmes pour faire croire qu’il travaille beaucoup pour le bien de la société qui l’emploie : les Mutualistes Jaloux. Il adore sa routine, ponctuée de son café préféré « lait normal plus » délivré par sa machine à café favorite et que son assistante lui apporte religieusement plusieurs fois par jour. Jean Pierre adore tyranniser ses collaborateurs qu’il envoie aux archives quand il estime que ceux-ci ne sont pas à la hauteur de leurs tâches. Archives dont personne ne revient…

Mais un jour, toute cette mécanique bien huilée déraille. La photocopieuse de l’étage décide d’elle-même de cracher de plus en plus de feuilles qui provoquent un véritable tsunami. Tout d’abord dans les bureaux, puis les couloirs, puis la rue, et ensuite c’est la la ville de Paris tout entière qui se retrouve engluée dans une marée de papier blanc, semblable à des monceaux de neige.

Et, même s’il n’y est pour rien, c’est Jean Pierre qui est désigné comme coupable. Il est désigné comme terroriste et va alors tout faire pour échapper à la justice ; il décide de rejoindre l’endroit où il a grandi, la maison de Mémé. Et il va découvrir que Mémé n’est pas vraiment la vieille dame qu’il imaginait jusque-là.

Alors pour être franche, Jean Pierre n’est pas quelqu’un de sympathique, et il est difficile de s’identifier à un personnage principal qui cumule des tas de défauts qu’il a érigés en qualités. Mais sa psychorigidité lui permet de prendre la tête des rebelles qui vivent sous la maison de Mémé et d’en faire un commando presque bien organisé, le tout porté par la plume assez réjouissante et loufoque de l’autrice.

Car ce roman n’est pas écrit dans un style classique, non. Et il ne prend pas place dans une France connue, mais une France à l’ancienne, où le web n’existe pas, et où le minitel règne en roi sur un pays qui a l’air de s’enflammer pour des broutilles dès que l’occasion se présente. On n’a pas de repère temporel, et c’est ce que je trouve intéressant, cela permet une meilleure immersion et une suspension d’incrédulité renforcée. Le tout est plutôt drôle à lire avec par exemple les tribulations du président qui ne rêve que de manger des coquillettes au jambon, ou encore le fait que le soldat inconnu soit dérangé par une manifestation, même si on devine en filigrane une bonne partie des problèmes actuels de notre monde à nous.

Les personnages sont certes un peu caricaturaux mais, dans ce contexte et dans ce style de récit, cela ne pose aucun problème. On prend plaisir à les découvrir, et même si on sait que certains ne sont que des faire-valoir, d’autres sont plus importants qu’ils n’y paraissent au premier abord.

C’est ma première incursion dans cette maison d’édition qui n’existe que depuis 2020 et j’avoue avoir été agréablement surprise. Leur ligne éditoriale est plutôt claire : faire découvrir de nouveaux auteurs francophones mais pas au détriment de la qualité. Pour ce roman-ci, le pari est réussi et j’espère en découvrir d’autres à l’avenir grâce à eux.