Les Chroniques de l'Imaginaire

Maison de la Terre et du Sang (Crescent City - 1) - Maas, Sarah J.

Bryce est une métisse, mi-fae, mi-humaine, et n’est a priori dotée d’aucun pouvoir particulier. Dans un pays fondé sur un système de castes, où les humains et les êtres sans grand pouvoir magique sont méprisés, sa situation est loin d’être enviable. Elle a néanmoins réussi à trouver du travail en tant que vendeuse d’antiquités à Crescent City, une grande ville dynamique où les occasions de sortir et de s’amuser sont légion. Elle ne se prive d’ailleurs pas de faire la fête en compagnie de sa meilleure amie, la célèbre Danika, héritière non officielle du Prima des loups-garous et baroudeuse au grand cœur. Leur petit groupe compte aussi Juniper la faune, danseuse de ballet réputée, et l’énigmatique Furie, une tueuse à gages de haut vol.

Un soir, alors qu’elle rentre complètement droguée d’une soirée, Bryce est témoin d’un crime atroce. Deux ans plus tard, sa vie est toujours en lambeaux mais l’archange Michée lui apprend que des meurtres similaires viennent d’être commis et lui donne l’occasion de mettre la main sur le criminel. Elle devra cependant accepter une condition : celle d’être accompagnée par l’homme de main de Michée, un ange déchu appelé Hunt mais plus connu par son surnom, l’Umbra Mortis, l’Ombre de la Mort.

Le résumé m’avait attirée avec la promesse d’une ville fantasy sombre et mystérieuse, d’artefacts magiques anciens et redoutables et d’une enquête pour meurtre auprès d’un être torturé. Le roman remplit certes les promesses de son synopsis mais pas de la manière dont je l’avais envisagée. Tout d’abord, le résumé de l’éditeur comporte bel et bien une information erronée : la vie de Bryce est tout sauf parfaite et c’est là même ce qui constitue le cœur du récit et fera toute la force du dénouement. Ensuite, la recherche d’artefacts est bien présente mais fort peu la dimension historique : on en apprend finalement assez peu sur l’histoire de l’univers. L’artefact central du récit est présent en raison de ses pouvoirs très particuliers, non pour son intérêt historique – ce qui ravira les fans d’action à défaut des fans d’histoire avec un grand H. L’enquête nous emmène bien en différents points de la ville mais cette dernière reste très peu décrite. Il n’est pas évident de la « visualiser » en tant que lecteur. Elle paraît surtout découpée en grands quartiers, peuplés par différentes espèces humanoïdes.

En me lisant, on pourrait croire que je n’ai pas apprécié le roman. C’est faux : je l’ai beaucoup aimé mais il m’apparaît nécessaire de clarifier en quoi il a différé radicalement de mes attentes initiales avant de me plonger dans ses points forts. L’aspect le plus important de l’intrigue, auquel je ne m’attendais pas, est l’emphase sur la psychologie des deux personnages principaux et sur la romance. L’évolution des personnages, leurs tourments intérieurs, leurs liens à leur famille, collègue et amis mais aussi et surtout l’éclosion de leur histoire d’amour est ce qui constitue le vrai fil rouge du récit. L’altérité, les inégalités, les systèmes politiques autoritaires sont autant de thématiques questionnées dans le récit.

L’action est bien sûr au rendez-vous, surtout dans la dernière partie de l’ouvrage mais, ici encore, les conséquences sociales, humaines et politiques pour la population de la ville - et psychologiques pour les protagonistes - sont autant mises en avant que les avalanches d’hémoglobine. C’est un bon point pour l’ouvrage, plus subtil qu’il n’y paraît.

Cependant, cette subtilité manque quelque peu à l’histoire d’amour, que j’ai trouvée un peu forcée. Surtout, les scènes de fantasme ou, plus tard, de sexe, sont écrites de manière assez crue et n’apportent pas grand-chose au récit. Elles utilisent en outre des formulations très similaires d'une scène à l'autre. Un exemple pudique : je pense que la protagoniste doit bien recourber ses orteils dans ses chaussures une bonne dizaine de fois en songeant à ce qu'elle pourrait faire avec l'Umbra Mortis.

Ce premier tome de la série fait figure d’introduction aux différentes espèces de créatures magiques et aux relations qui les unissent… et laisse planer un suspense bienvenu sur la suite de la série. Les espèces montrées ne sont pas originales : des faes, des anges, des tritons, des esprits élémentaires, des démons, des loups-garous, etc. mais les personnages sont suffisamment intéressants pour qu’on prenne plaisir à les suivre. À l’inverse, les problèmes des humains pour se faire respecter sans pouvoir magique, les rapports de domination avec des créatures venues d’un autre monde, l’esclavage omniprésent sont des thématiques déjà traitées ailleurs mais présentées ici de manière particulièrement intéressante.

Maison de la Terre et du Sang ouvre donc le bal d’une série qui s’annonce riche en intrigues politiques, en manœuvres psychologiques et en scènes d’action guerrière et de sexe.