Dans cet ouvrage, Alain Testart remet en cause le lien opéré entre maîtrise de l'agriculture par l'humanité, sédentarisation et origine des inégalités sociales. En analysant des peuples écartés par ses prédécesseurs comme étant « atypiques », il montre que des groupes n'étant pas sédentaires et ne maîtrisant pas de techniques agricoles ont pu malgré tout développer des organisations sociales complexes et générer des inégalités.
La préface rédigée par Valérie Lécrivain et Geoffroy de Saulieu rappelle le contexte de publication et l'état de la recherche à l'époque de première parution de l'ouvrage en 1982. Il revient sur certaines définitions communément admises par de grands chercheurs de l'époque, en les nuançant à la lumière des analyses d'Alain Testart et de découvertes plus récentes. Pour qui, comme moi, n'a étudié la préhistoire qu'en primaire, c'est un passage obligé. Bien que cela paraisse découler du bon sens, le fait que tous les chasseurs-cueilleurs n'aient pas été nomades est par exemple quelque chose que je n'avais jamais entendu.
C'est toute la force de cet ouvrage que de faire voler en éclats les classifications auparavant admises et de questionner les hypothèses posées sur la naissance des inégalités.
Dans le premier chapitre, Des sociétés réputées exceptionnelles, Alain Testart interroge le caractère d'exception conféré à certains peuples de chasseurs-cueilleurs à même de stocker des denrées alimentaires mais aussi de s'organiser en sociétés complexes. On y voit que le milieu naturel ou l'influence d'autres cultures a pu être utilisé pour justifier certaines particularités, quitte à passer d'autres aspects, comme une grande maîtrise technologique, sous silence.
Dans le deuxième chapitre, Un système techno-économique fondé sur le stockage alimentaire, il est plus précisément question de la relation entre sédentarité et stockage alimentaire plutôt qu'entre sédentarité et agriculture. L'auteur y déploie des arguments et exemples convaincants pour montrer que c'est bien la capacité à stocker des aliments, quelle que soit leur provenance, qui encourage la sédentarité et le développement d'usages sociaux traditionnellement associés à une société agricole.
Comme son titre l'indique, le chapitre 3 donne des exemples typiques de sociétés de chasseurs-cueilleurs sédentaires stockeurs. On découvre ainsi ceux de la côte du Nord-Ouest de l'Amérique du Nord, du Sud-Est sibérien et de Californie. Dans la continuité, le chapitre 4 présente des cas probables et cas limites de chasseurs-cueilleurs sédentaires stockeurs
Le chapitre suivant, Répartition géographique et contraintes naturelles, s'attarde plus en détail sur les conditions nécessaires à cette organisation sociale : une ressource saisonnière abondante, récoltable et stockable en larges volumes. Il y est par exemple question des techniques de conservation employées.
Dans le chapitre 6, Le mouvement de l'histoire, la temporalité de différentes phases historiques et leur linéarité est remise en cause. Enfin, le chapitre 7 prend la forme d'une Note additionnelle sur les formes et les origines des inégalités chez les chasseurs cueilleurs.
Cet ouvrage, bien qu'il puisse être lu par n'importe qui, plaira surtout aux personnes ayant un fort intérêt pour le sujet. Riche et dense, le néophyte devra s'accrocher pour ne pas se perdre et ce malgré les nombreux schémas, tableaux et cartes. Pour les lecteurs plus érudits, ce soin apporté au détail et la qualité de l'argumentation en font en revanche un ouvrage incontournable, qui invite à aller plus loin et à se renseigner sur la manière dont les découvertes récentes viennent ou non servir la thèse développée par Alain Testart. Outre la bibliographie d'origine, l'édition de 2022 comporte une bibliographie indicative permettant justement de se documenter davantage sur les questions abordées dans l'ouvrage. Il s'agit d'un ajout bienvenu !