Les parents de Katherine Talbert sont depuis des années en procès avec Lord Tremontaine, le Duc Fou. A la mort du père de Katherine, il invite l'adolescente à passer six mois à la ville. Si on peut parler d'une invitation ! En fait, il offre d'abandonner toute action en justice, et de donner de l'argent en plus, si elle accepte cette proposition, sachant qu'elle devra apprendre l'épée pendant ce temps, obéir à ses ordres, et n'avoir aucun contact avec le reste de sa famille. Hésitante au départ, elle est suffisamment réaliste pour savoir qu'elle n'a guère de choix,
Pendant son séjour dans le palais Tremontaine sur la Colline, ou dans le labyrinthe qu'est la résidence du "Duc des Bords-d'Eau", elle va apprendre des choses importantes sur elle-même et sur ce qu'elle veut faire de sa vie. Et bien sûr, elle va apprendre l'escrime avec le(s) meilleur(s). Même si sa situation l'isole des adolescentes de son âge, elle fera la connaissance d'Artemisia Fitz-Levi, avec qui elle s'entendra suffisamment bien pour désirer l'aider quand elle en aura besoin.
J'ai hésité dans la classification de cette histoire, m'étant finalement résolue pour la Fantasy puisqu'il s'agit d'un univers inventé, mais on n'y trouvera aucun des marqueurs du genre (ni elfes, ni magiciens, ni créatures féeriques...). Par plus d'un aspect, on pourrait dire qu'il s'agit d'une classique histoire de cape et d'épée. Roman de moeurs autant que d'apprentissage, Le privilège de l'épée interroge plusieurs thèmes à partir de celui de la condition féminine : la prostitution, la soumission à l'ordre établi, avec sa hiérarchie basée sur le sang et/ou l'argent, et l'art comme échappatoire pour les artistes et miroir de la société. L'autrice entremêle habilement différents fils d'intrigue dont les personnages vont porter ces thèmes, qu'il s'agisse de Marcus, de lord Tremontaine et son ennemi principal, lord Ferris, ou du couple Lucius Perry/Teresa Grey.
Les deux figures opposées de la Laideronne et de la Rose Noire illustrent la mainmise du patriarcat sur la femme : la première, génie mathématique, est méprisée par l'Université où elle aurait plus que sa place, cependant que la seconde n'a de valeur reconnue que par son physique et son talent d'actrice. Si, au départ, les deux adolescentes totalement ignorantes des réalités de la vie et de la société que sont Katherine et Artemisia sont terriblement agaçantes, leur évolution n'en est que plus intéressante. Celle de Katherine, notamment, éclaire les motivations d'un duc de Tremontaine plus rebelle que fou.
A ce sujet, les lecteurs de A la pointe de l'épée apprendront ce qu'il en est advenu de leurs héros favoris, comme d'ailleurs de personnages secondaires importants comme Michael Godwin et Lord Ferris. Toutefois, si l'autrice a souhaité revisiter son univers - et notamment les Bords-d'Eau - donnant ainsi aux lecteurs du roman précédent une impression de familiarité, il est parfaitement possible pour un nouveau lecteur d'y entrer, même si personnellement je ne peux que recommander vivement la lecture de la première aventure de ces personnages chatoyants et complexes. De façon plus marquée encore dans ce roman-ci, la figure du bretteur est comme un sas : entre les deux moitiés de la ville, entre les différentes strates de la société, voire même entre les sexes.
J'ai longtemps attendu la parution en français de ce roman, et je suis enchantée qu'il soit enfin proposé aux lecteurs francophones. Je ne peux donc qu'en recommander chaudement la lecture. Et s'il vous reste un peu de place dans la valise de vacances, n'hésitez pas à y ajouter le précédent.