Après la guerre de Sécession, les quinze années qui ont suivi furent marquées par une poussée inexorable des Blancs vers les régions habitées par les Indiens. La soif de l'or, le marché des peaux de bisons, l'élevage du bétail ainsi que le développement vers l'Ouest du chemin de fer ont accentué cette ruée vers les terres indiennes. Mais pour cela, le gouvernement et des hommes d'affaires devaient se débarrasser des tribus "hostiles". Tous les moyens ont été utilisés, les traités n'ont pas été respectés, certaines tribus ont été soudoyées, des maladies ont été importées volontairement dans les tribus, d'autres ont été parquées dans des petites réserves sur des terres infertiles et certaines ont été massacrées sans raison si ce n'est celle de se débarrasser d'eux pour laisser toute la place à l'homme Blanc.
En ce printemps 1877, près d'un millier de Cheyennes du Nord affamés se présentent à l'agence de Red Cloud (chef sioux) au Nord-Ouest du Nebraska. Ils se rendent en échange de la promesse de nourriture et de se voir attribuer une agence dans leur territoire de chasse. Ces agences étaient censées garantir la paix, la fourniture de nourriture, de quoi se loger en échange des Terres que la tribu occupait depuis la nuit des temps. Malheureusement, quasiment chaque chef d'agence n'avait qu'un seul but : s'enrichir sur le dos des Indiens en s'accordant avec les fournisseurs pour donner de la nourriture avariée, des tissus et des outils de très médiocre qualité, quand ils arrivaient, ce qui était peu souvent le cas. D'énormes sommes ont été détournées ainsi au détriment des tribus, des hommes, femmes et enfants qui n'arrivaient pas à se nourrir convenablement et qui se retrouvaient dans le dénuement et le désœuvrement. Car bien évidemment, les Indiens étaient désarmés avant d'être parqués dans ces réserves. C'est ce marché de dupes qui a été proposé aux Cheyennes de Dull Knife et Little Wolf. On leur a intimé l'ordre de se rendre dans le Territoire Indien (l'actuel Oklahoma), une terre hostile. Devant leur réticence à obéir, la tribu ne reçut plus aucune ration et fut cantonnée à l'écart du campement de Red Cloud. Pour tenter de les convaincre, on leur expliqua que les autorités officielles avaient dit : "Descendez dans le Sud, juste pour voir. Si cela ne vous plaît pas, vous pourrez revenir ici". Les chefs finirent par accepter pour éviter la famine qui les guettait et partirent vers le Sud bien encadrés par les troupes de soldats.
Lors de cette marche vers la Réserve, les Cheyennes traversent leurs anciens territoires de chasse, passent sur les lieux de massacres, et constatent la disparition des bisons et que les temps anciens sont révolus pour eux. Le constat est pire lorsqu'ils arrivent enfin sur les Terres qui leur sont attribuées. Les vastes étendues sont pelées, les Indiens présents trop nombreux pour y vivre. Les Cheyennes du Sud sont pauvres, sans monture ni la moindre arme à feu et le gibier ne se bouscule pas sur ces terres désolées. Little Wolf et Dull Knife ne sont pas longs à signifier au chef d'agence qu'ils retournent dans le Nord comme cela avait été convenu. Mais l'agent leur réplique qu'ils ne peuvent plus partir et que les soldats n'hésiteront pas à les ramener par la force s'ils tentent de s'en aller. Les chefs décident alors de s'échapper en profitant de la nuit pour tromper les soldats. Mais pour cela, ils sont obligés d'abandonner leurs tipis et la plupart de leurs biens afin de voyager léger pour la course-poursuite qui va s'engager avec les tuniques bleues. Les Cheyennes vont être pourchassés sans cesse et de toutes parts par les soldats et des civils qui veulent se joindre à la curée. La Tribu va même se scinder en deux groupes car il existe des dissensions sur l'objectif de cette fuite et les moyens à employer.
C'est cette marche de plus de quatre mois pendant un terrible hiver que Mari Sandoz nous raconte dans ce livre. Elle nous décrit les marches forcées, la famine, le froid subis par ces hommes, ces femmes et ces enfants qui n'ont même pas les peaux suffisantes pour s'habiller convenablement et lutter contre l'hiver rigoureux qui s'installe. C'est une épopée tragique qui nous est contée par l'auteure qui sait insuffler un souffle épique à ce récit, de la même veine que celui qu'elle a écrit sur Crazy Horse et qui m'avait enchanté. On découvre que la tribu était partagée sur la façon de réagir entre les partisans de la paix à tout prix, les naïfs, les jusqu'au-boutistes et ceux qui tentent de préserver leur unité tout en conservant leurs traditions.
L'auteure nous fait ressentir la peur de ces Cheyennes lors de cette traque incessante, on est avec eux aux aguets du moindre bruit, du moindre nuage de poussière qui indiquerait la présence des soldats venus pour tuer. C'est beau et tragique car l'on sait que tout ça va forcément mal se terminer, mais dans quelles proportions ?
Mari Sandoz nous dépeint le mode de vie des Indiens, leur symbiose avec la nature, leurs croyances qu'ils tentent de préserver lors de leur fuite. Car pour eux, perdre leurs traditions c'est perdre leur âme et l'on comprend mieux maintenant pourquoi un grand nombre d'entre eux a sombré dans l’alcool une fois parqués dans ces Réserves. Ils y ont tout perdu, l'essentiel de leur nature. Toutes leurs techniques de survie face à l'ennemi, face à la nature sont décrites et me laissent admiratif devant leur courage, leur abnégation devant tant d'adversité. Leur résilience face aux massacres, aux tortures, et aux privations subies sans une plainte ont impressionné même leurs plus farouches adversaires.
Cette histoire est glaçante car elle nous parle de l'élimination d'un peuple, de la disparition de sa culture, de l'appropriation de ses Terres ancestrales, tout cela pour satisfaire les colons blancs qui pour la plupart ne voulaient pas vivre avec les Indiens à proximité de leurs fermes. Ce qui nous est décrit, c'est l'organisation de cette élimination, avec les esprits préparés et échauffés par les journaux qui relataient des soi-disant exactions des Indiens en exagérant les faits et le nombre des morts. Rarement les massacres subis par ces mêmes tribus ont été racontés. Les présidents successifs n'ont jamais respecté un seul traité de paix et certains d'entre eux n'ont jamais caché leur mépris de l'Indien. Les accointances entre le pouvoir et certains industriels ont permis cette élimination du "problème Indien" avec la participation active de l'armée, en toute tranquillité sans qu'aucune poursuite ait été engagée contre les responsables de massacres.
L'exode est le terme juste pour raconter cette marche qui verra nombre d'entre eux mourir sur ce chemin de l'espoir. C'est beau et terrible à la fois, car malheureusement ce n'est par sorti de l'imagination de Mari Sandoz. Tout est vrai, appuyé par des documents officiels, et me laisse pantois face à tant d'acharnement à faire disparaître un peuple.