Jack McAuliffe, nouvelle recrue de la CIA, vient d'être affecté à Berlin auprès d'une légende de l'espionnage : Harvey Torriti alias le Sorcier. Ce 31 décembre 1950 dans Berlin-Est, ils doivent rencontrer un officier russe du KGB qui souhaite passer à l'Ouest avec sa famille. Son atout pour être pris au sérieux et ne pas passer pour un faux transfuge, c'est une information qui pourrait avoir l'effet d'une bombe au sein des services de renseignements alliés. La possibilité d'identifier un agent soviétique au sein des services de renseignements britanniques, quelqu'un de haut placé en contact permanent avec la CIA. Torriti, convaincu de la franchise du Russe, accepte d'en référer à ses supérieurs et de favoriser l'exfiltration. Mais rien ne se passe comme prévu le jour J. Commence alors une épopée de quarante ans où l'on suit Toritti, McAuliffe ainsi que d'autres espions de tous bords au travers des événements importants du XXème siècle et des différents affrontements entre l'Est et l'Ouest. La traque de cet espion va durer plus de vingt ans et paralyser pendant de nombreuses années la CIA et le MI6 britannique.
Robert Littell réussit l'exploit de nous conter une formidable histoire de l'espionnage durant la Guerre Froide, de nous raconter de l’intérieur des événements historiques qui ont marqué le monde et les esprits. C'est captivant et les quelques 1242 pages sont avalées rapidement, tellement c'est prenant. Je n'ai pas lâché ce livre tant j’étais impatient de voir où l'auteur allait m'emmener dans cette fresque incroyable sur l'espionnage. L'ambiance du livre retranscrit parfaitement cette atmosphère délétère de la Guerre Froide où tout le monde se méfiait de tout le monde, où des agents pouvaient être des agents doubles voir triples, où une taupe pouvait se dissimuler au cœur des services secrets pendant des décennies. La construction du roman avec l'alternance des passages concernant les espions russes et ceux américains permet d'avoir le point de vue des deux parties et de faire durer le suspense.
Le plus fascinant dans ce roman, c'est l'habileté avec laquelle Robert Littell mélange la réalité avec la fiction, car la plupart des personnages importants des services secrets ont tous existé. Seuls les cinq personnages que nous suivons sur ces quarante ans sont fictifs mais ils interagissent tout le temps avec des personnages réels. Cette relecture des événements géopolitiques, l'ombre des différents services secrets dans des événements tragiques semble plausible et c'est là la qualité essentielle de ce roman. Tout semble vraisemblable, on a du mal à démêler le vrai du faux et l'implication des services secrets dans la plupart des événements tragiques de la seconde moitié du XXème siècle semble effectivement logique.
J'ai trouvé qu'il n'y avait pas vraiment de caricature, les bons d'un côté et les mauvais de l'autre, dans chaque camp il y a des idéalistes, des patriotes et de véritables salauds. La prouesse de Robert Littell, c'est de nous rendre sympathique un homme qui a trahi ses amis, son pays mais qui l'a fait pour des raisons parfaitement valables. C'est une histoire de lutte entre services secrets, de lutte entre idéologies, d'une lutte où tous les coups sont permis pour affaiblir et écraser l'adversaire. L'auteur retrace une véritable partie d'échecs de quarante années entre la CIA et le KGB, où les vies humaines comptent peu par rapport à l'enjeu qui est d'imposer la prééminence de son camp sur l'autre.
Ce livre nous fait vivre de l'intérieur les événements de la révolution de Budapest en 1956, ceux de la préparation du débarquement de la Baie des cochons, de la guerre en Afghanistan et de la chute de l'Union Soviétique. On y croise la plupart des grands hommes politiques de ces périodes et même un obscur membre du FSB qui utilise de nos jours les mêmes méthodes que le KGB qui l'a formé.
Pour ceux qui n'ont pas connu cette période de l'histoire, cela peut paraître manichéen mais lorsque l'on voit les manipulations employées en Russie pour justifier l'utilisation de la force et les exactions commises, tout ce qui est dépeint dans ce roman prend son sens et rend d'autant plus crédible ce qui y est décrit.
C'est un grand roman d'espionnage mais aussi d'aventures où des hommes risquent leur vie et celle des autres pour prendre le dessus sur l'adversaire par tous les moyens possibles et imaginables. On y traverse les époques, on se déplace dans les différentes parties du monde où les blocs se sont confrontés et l'on redécouvre une partie de notre histoire sous un autre angle. Pour résumer ce roman, je vais reprendre la citation de Télérama en couverture du roman : "La Compagnie est à la CIA ce que le Parrain fut à la Mafia".