La narratrice, une employée gouvernementale travaillant au département des plaintes, se contente de les lire sans jamais y répondre ni régler les litiges car c'est sa fonction qui l'exige. Celle-ci évolue dans un monde dystopique où tout fonctionne via d'incessantes mises à jour technologiques censées "constituer une amélioration". Ainsi, les routes peuvent changer de direction, les villes se transformer en un clin d’œil et les habitants changer de corps ou de visage chaque matin, tels des métamorphes. Au lendemain d'un nouvel updating, la compagne de l'employée disparaît littéralement sans laisser d'explication. Que lui est-il arrivé ? Est-ce un départ volontaire ? Une énième mise à jour lui a-t-elle été fatale ? C'est ce que va chercher à savoir l'employée chargée des plaintes.
Au premier coup d’œil sur la couverture de l'album, on pourrait être freiné par le chaos qui y règne et une esthétique formelle qui nous est étrangère. Passons outre nos appréhensions premières pour découvrir, sous les couleurs acidulées, une technocratie empreinte d'une logique hyper progressiste vide de sens. Une société où les visages et les corps en perpétuelle métamorphose aboutissent à une fragmentation de l'identité. On pense à l'excellente série Severance mettant en scène un monde du travail devenu absurde où la déshumanisation, la dissociation identitaire et le culte du secret nourrissent une dictature technologique glaçante aux allures de groupe sectaire.
Mais au sein de cette technocrature oppressante qui pourrait être le prolongement radicalisé de l'univers de Dream data - imaginant les politiques futures d'un géant d'Internet - l'employée se mue en enquêtrice et finit par découvrir un îlot de résistance salutaire qu'elle ne soupçonnait pas.
Entre science-fiction et pamphlet politique, Michael DeForge nous plonge dans une réflexion vertigineuse sur une société mue par l'idéologie mortifère d'une humanité augmentée au service exclusif de la performance et d'une efficacité factice qui bouleverse l'espace-temps. Un monde idéal qui se révèle finalement liberticide et dépersonnalisant.