Les Chroniques de l'Imaginaire

La fée-cinéma - Guy, Alice

Alice Guy, première femme cinéaste, s’est attelée à l’écriture de son autobiographie à la fin de sa vie. Achevés en 1953, ses mémoires ne trouvent pas preneurs et ne seront publiés qu’en 1976, soit huit ans après sa mort, grâce à l’intervention de Musidora, une association de féministes cinéphiles. Le but est alors de réhabiliter la cinéaste, dont le nom a longtemps été écarté de l’histoire officielle, ses œuvres attribuées à ses collègues masculins, voire perdues et oubliées.

Au début du XXIe siècle, on parle un peu plus d’Alice Guy mais toujours moins que de ses homologues masculins, et notamment de Georges Méliès dont certaines de ses œuvres partagent le caractère comique ou fantastique. La reparution de cette autobiographie est l’occasion d’en apprendre plus sur cette femme et sur l’apparition du cinéma.

On ne peut que noter la qualité du travail éditorial réalisé. Cette édition comporte deux nouvelles préfaces rédigées, l’une par Céline Siamma qui revient sur « l’effacement » d’Alice Guy et la première publication de l’ouvrage par les féministes des années 1970, et l’autre par Nathalie Masduraud et Valérie Urrea, qui évoquent son rapport particulier aux images. Les deux préfaces d’origine, rédigées par Nicole-Lise Bernheim et Claire Clouzot, sont également présentes en fin d’ouvrage et permettent de mieux appréhender le contexte de parution originel ou, autrement dit, ce qui a permis à cette autobiographie de sortir de l’ombre. L’ouvrage rassemble en outre des photos et documents communiqués par le petit-fils d’Alice Guy, Thierry Peeters, et le contenu d’une lettre écrite par sa fille, Simone Blaché-Bolton, qui fait le récit des dernières années d’Alice Guy, après l’écriture de ses mémoires.

Mais passons enfin au récit d’Alice Guy. Elle y revient succinctement sur son enfance et n’évoque qu’à grands traits sa vie après le cinéma. En réalité, cette autobiographie est celle de la femme cinéaste, comme si Alice Guy n’avait été réellement vivante qu’à travers la pratique de son art. D’ailleurs, elle le dit elle-même d’entrée de jeu : « avant de vous faire le récit anecdotique de ma vie de metteur en scène, permettez-moi de vous présenter celui qui l’emplit tout entière - mon ‘prince charmant’ à moi – LE CINÉMATOGRAPHE. »

Son amour, c’est donc le cinéma et son autobiographie commence donc par l’histoire de sa naissance à lui, plutôt que par celui de la naissance d’Alice Guy elle-même. Comme il en va des souvenirs et récits de vie, les éléments racontés par Alice Guy ne sont pas tous exacts : certaines inventions attribuées à des Français ont été trouvées par d’autres par exemple. Ce prologue sur la naissance du cinéma est bien un témoignage et non pas une histoire officielle. C’est ici surtout que les notes de bas de page, rédigées par Claire Clouzot pour la première édition et conservées dans celle-ci avec quelques aménagements, trouvent toute leur utilité. Elles rectifient des inexactitudes, donnent des éléments biographiques ou techniques et, niveau de lecture supplémentaires, révèlent parfois aussi les points considérés comme particulièrement important par l’équipe de féministes éditrices.

Lire cette autobiographie, c’est un peu comme écouter une grande tante faire le récit de sa vie. Elle peut passer sous silence des années entières pour arriver aux moments les plus croustillants de son existence. Les faits sont alors relatés de manière plus méticuleuse, avec une avalanche de noms – de personnes que l’on ne connaît souvent pas en fait – et de la relation qui les unissait à la conteuse. On ressent le besoin d’Alice Guy de prouver l’exactitude de ses propos, y compris en s’appuyant sur des ouvrages sur l’histoire du cinéma. À d’autres moments, c’est le plaisir de raconter des anecdotes truculentes, de se remémorer les atmosphères des lieux traversés ou les situations du quotidien qui l’emporte. Parfois aussi, elle n’hésite pas à lancer quelques piques, qui apportent un peu de sel au récit.

Cet aperçu de la carrière de la première cinéaste plaira aux plus cinéphiles des lecteurs. Amoureuse du cinéma muet, il m’a personnellement beaucoup plu, pas seulement en raison de cette passion pour le très vieux cinéma, mais aussi parce qu’il m’a ramené à ces longs après-midis où j’écoutais mes grandes tantes âgées me raconter leurs expériences et leurs meilleures aventures, s’excusant presque de m’ennuyer avec des récits pourtant hautement rocambolesques. Lire La fée-cinéma, c’est aussi un peu cela : recueillir la parole d’Alice Guy, qui se montre tour à tour humble et enflammée, toujours soucieuse de son lectorat potentiel.