Au lendemain de sa consécration à la Mostra de Venise (2017) et aux Oscars (2018) pour son dixième film, La forme de l'eau, le public est sans doute mûr pour oser davantage s'aventurer dans l'univers singulier de ce cinéaste mexicain parvenu, à l'instar de ses confrères Alfonso Cuarón et Alejandro Iñárritu, à se frayer un chemin à Hollywood. Et quel chemin parcouru depuis son premier film, le gothique et baroque Cronos ! La publication de l'ouvrage Guillermo del Toro, l'enchanteur du cinéma arrive donc à point nommé.
Ici, le critique de cinéma Ian Nathan nous présente un panorama du parcours du cinéaste en dix chapitres, de ses débuts précoces au projet Pinocchio. Et ça démarre en fanfare ! Le cinéaste se passionne enfant pour les creepy comics tels que Famous monsters of Filmland, et pense que les gentils monstres existent. Précoce, il dirige des films d'animation en stop motion avec la caméra Super 8 de son père, mettant en scène des combats de monstres. A l'adolescence, il récidive et réalise ses premiers courts-métrages horrifiques aux accents œdipiens avec sa mère en vedette dont Matilde qui "parle d'une femme qui nourrit une obsession psychosexuelle pour une fissure dans le mur de sa chambre. Il en sort un fœtus aveugle gigantesque qui l'étrangle". Entre body horror et surréalisme, on n'est pas loin d'Eraserhead, le film anxiogène de David Lynch.
Une filmographie traversée de références multiples
Pour bien appréhender l'univers mental et l'imaginaire de Guillermo del Toro, il faut préciser son incroyable érudition. Grand cinéphile, il s'intéresse aux films de genre - horreur, science-fiction, fantastique, film noir, kaiju eiga et films d'arts martiaux -, des séries B à Hitchcock en passant par Buñuel, Bergman, les films de la Hammer ou Jodorowsky. Bibliophile notoire, ses influences s'étendent des contes de Charles Perrault et des frères Grimm et aux œuvres de Lovecraft, Baudelaire, Mary Shelley ou Dickens autant qu'aux comics d'épouvante Tales from the crypt. Amateur d'art, il cite volontiers Picasso, Degas ou Klee.
Ainsi, dès son premier long métrage, Cronos (1993), on retrouve le motif principal du livre d'Edgar Poe, Le scarabée d'or, qui est aussi l'incarnation d'une symbolique de l'Antiquité égyptienne. Quant au titre du film, il établit une filiation directe avec le titan anthropophage de la mythologie grecque représenté par Goya dans Saturne dévorant un de ses fils. Les références picturales et narratives à l'art élitiste et l'art populaire sont toujours foisonnantes. Le cinéaste voit dans Cronos "une réinterprétation païenne de l’Évangile", très caractéristique du syncrétisme mexicain, issu des religions précolombiennes et chrétiennes. Et malgré les obstacles rencontrés pendant le tournage, il repart avec sept Ariel - les Oscar mexicains - et un prix à Cannes. Son premier film a d'ores et déjà marqué les esprits au-delà des frontières du Mexique. C'est désormais officiel : un cinéaste d'envergure est né.
Les monstres, ces êtres incompris
Son point de départ ? "Je prends la figure centrale du monstre et j'en fais la plus triste du récit". Mis à l'écart par ses camarades de classe et profondément touché à neuf ans par sa lecture de Frankenstein, il perçoit les monstres comme des êtres incompris. Ce postulat irriguera toute son œuvre, de Cronos (1993) à Nightmare Alley (2021).
Toute la filmographie du metteur en scène mexicain est passée en revue, de L'échine du diable aux deux Hellboy, du Labyrinthe de Pan à Crimson Peak. Vous voulez savoir comment Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ou E.T. l'extra-terrestre ont influencé La forme de l'eau ? Vous aimeriez en savoir plus sur son projet Pinocchio ? Lisez le livre de Ian Nathan.
Et si vous vous demandez par quel film commencer pour aborder son étrange univers, je vous conseillerai La forme de l'eau. Deuxième plus grand succès public du réalisateur derrière Pacific Rim, il est le plus rentable de sa carrière mais il est surtout bien plus que cela. Cette habile synthèse de son univers fantastique axé sur la figure du monstre, diluée dans un vibrant hommage au cinéma hollywoodien, constitue une merveilleuse porte d'entrée pour un public peu habitué au cinéma fantastique déviant. Conçu comme une relecture croisée de L'étrange créature du lac noir et de La belle et la bête de Cocteau, La forme de l'eau est un conte de fées romanesque accessible à tous.
Et pour prolonger la magie du film, tournez les pages de ce livre agrémenté d'anecdotes, d'extraits d'interviews et d'analyses. Abondamment illustré et richement documenté tout en restant synthétique, ce bel ouvrage vous permettra de saisir la vision unique d'un cinéaste qui s'approprie les codes du cinéma de genre pour mieux les réinventer. Une manière réjouissante de patienter avant la sortie, en décembre 2022, de Pinocchio, son adaptation animée du célèbre conte de Carlo Collodi, sur Netflix.