À travers treize nouvelles, ce numéro 32 de la revue nous emmène « Au seuil de la folie ».
Philippe Caza nous fait plonger directement dans le grand bain avec sa nouvelle Droit d’asile. Dans un asile psychiatrique, un directeur, un infirmier et une interne reçoivent un visiteur médical sans rendez-vous et aux intentions radicales. On retrouve dans ce texte l’humour caractéristique de l’auteur, qui n’hésite pas à invoquer des images de plus en plus délirantes jusqu’à une conclusion invitant à relire la nouvelle avec un autre regard.
Dans La dérive des atomes, Christophe Bauer nous confie une note interservices des services secrets à propos de l’étrange effet de neutrinos sur un musicien, Benjamin Schimsky. Les commentaires finaux des rares lecteurs en font tout le sel.
1+1=3, de Grégory Covin, contient de nombreux rebondissements pour un texte aussi court. On y suit les membres d’une équipe très spéciale, qui serait sur Mars. Je n’ose en dire plus sans divulguer certains des éléments-clefs de la nouvelle.
Stéphane Croenne se frotte au voyage temporel dans Comme prévu. Les autorités souhaitent utiliser une technologie de pointe pour vieillir instantanément des condamnés. Évidemment, à l’inverse du titre, les choses dérapent. Le récit est réparti en différent niveaux de réalité, ce qui facilite grandement la lecture, et sait nous faire frissonner devant certaines des conséquences de ce jeu avec le temps.
Changement d’ambiance avec la nouvelle suivante, Les naufragés du Parthenia. Julien Villefort s’inspire des mythes et légendes urbaines maritimes : vaisseaux fantômes et autres événements étranges se manifestent aux naufragés d’un paquebot. Le ton journalistique confère des accents réalistes à ce récit fantastique.
Dans La Cité, Martine Hermant, nous fait découvrir un monde où l’ensemble des personnes atteintes d’une pathologie ont été regroupées en Islande, dans un centre spécialisé. La protagoniste venue y rendre visite à l’une de ses amies de longue date va en découvrir les atouts comme les inconvénients. J’ai apprécié la conclusion de la nouvelle, à laquelle on s’attend mais qui invite à la réflexion sur les contours de la folie.
Dix minutes au-dessus du niveau de l’amer de Nicolas de Torsiac est également peuplé de personnages intéressants, sympathiques, antipathiques ou juste énigmatiques. Le temps déraille dans une maison de retraite. Pendant quelques minutes, personnel soignant et personnes âgées vont vivre des expériences hors du commun.
Dans La vie est une fête, Tom Hennequin nous emmène à la suite de son narrateur à la découverte d’une future belle-famille aux rites étranges. Plus que la manifestation de cette étrangeté, j’en retiens les dialogues entre les personnages qui sont encore une fois une invitation à faire preuve d’ouverture d’esprit.
Par contraste, Lunatik est bien plus sombre dans Bienvenue sur nos autoroutes. Son protagoniste y est au bout du rouleau après avoir perdu presque tous ses proches et sans possibilité de rendre visite à sa fille mourante à l’hôpital. Il roule, roule et roule encore sur les autoroutes, son parcours rythmé par les différentes injonctions des panneaux lumineux et des souvenirs, flashbacks, délires ou manifestations de plus en plus présentes. Le tout baigne dans un humour sarcastique et savamment macabre !
Nous sommes ensuite les témoins d’une consultation entre un psychiatre et son patient dans L’Octal, de JL Martin. Le patient, Wenceslas, paraît avoir développé des troubles psychologiques fort singulier. Cette nouvelle aussi interroge les frontières de la folie. Bien ficelée, certains éléments qu’un nouveau lecteur pourrait considérer comme de l’ordre du détail viennent servir un dénouement jouissif.
Le protecteur, de Gillian Brousse, suit un homme déterminé à protéger le contenu d’une boîte, dans un monde étrange et déserté. Sa rencontre avec un jeune garçon va provoquer sa chute. Le procédé employé par l’auteur, même s’il est assez classique, est efficace et s’ancre pleinement dans la thématique choisie pour ce numéro.
Nicolas Camille aborde la folie dans toute sa puissance. Dans Le cauchemar de Descartes, il est question de la nature du réel, de ce qui existe ou non, et ce de plusieurs façons différentes malgré un format très court.
Avec Tout est une question de perspective, Anthony Boulanger tient les promesses de son titre. Une min(d)ler, sorte de télépathe, est appelée en renfort dans un hôpital psychiatrique où une adolescente internée aurait blessé l’esprit d’un de ses collègues. La jeune femme va découvrir les sombres secrets se cachant derrière cet évènement.
Le numéro s’achève par les Chroniques de lecture, rédigées par Martine Hermant et Christine Brignon.
Enfin, l’illustration de couverture réalisée par Pascal Ferry est intrigante. Entre lumière et obscurité, végétal et minéral, intérieur et extérieur, elle est parfaite pour donner le ton du numéro en mettant nos perceptions à l’épreuve. Trois illustrations, par Philippe Caza (Asile), Chris Brigonne (Scarlett, Babychou, Soliman, Mogwaï et Snow) et Léonard de Vinci (Salvator Mundi) complètent aussi trois des nouvelles.