Les Chroniques de l'Imaginaire

Putzi, le pianiste d'Hitler - Snégaroff, Thomas

Putzi, c'est le surnom d’Ernst Hanfstaengel et cela signifie "petite bonhomme". C'est assez paradoxal pour un homme mesurant près de deux mètres mais cela représente bien le personnage qui n'a jamais vraiment été pris au sérieux durant une grande partie de sa vie. Putzi est allemand par son père et américain par sa mère ; sa jeunesse, il l'a passée essentiellement aux États-Unis où il a fait des études à Harvard puis est devenu marchand d'art à New-York. Suite à l'hostilité naissante envers les Allemands pendant et après la première guerre mondiale, Putzi retourne en Allemagne. C'est en 1922 à Munich qu'il assiste pour la première fois à un discours d'Hitler dans une brasserie. Il en ressortira fasciné par la personne et l'impression qu'il dégage. Les deux hommes se découvrent une passion commune pour Wagner, et Hitler apprécie par dessus tout qu'il lui joue au piano des airs du grand compositeur. C'est ainsi que Putzi devient un proche du dignitaire nazi et c'est chez lui que se réfugie Hitler après sa tentative de putsch ratée en 1923. Pendant des années, il va tenter d’influencer sa politique et essayer de le convaincre de se rapprocher des États-Unis mais en vain. Au fil du temps, Hitler va l'écarter jusqu'à ce que Putzi, se sentant menacé, décide de quitter l'Allemagne pour un long exil, victime de l'influence croissante de Goebbels.

C'est donc l'histoire de cet étrange personnage que nous raconte Thomas Snégaroff, de cet homme qui n'a jamais été pris au sérieux par Hitler. Ce livre nous renvoie l'image d'un amuseur prompt à s'enflammer mais incapable de constance à part dans sa fascination pour le dictateur. C'est l'histoire d'un homme qui s'est vu trop beau et qui s'est brûlé les ailes à côtoyer de trop près Hitler et ses sbires sans avoir suffisamment de méchanceté et de malveillance pour survivre au milieu de ces hommes tous plus avides de pouvoir et prêts à tout pour garder leur zone d'influence. Ce livre nous montre les luttes d'influence autour du Führer, où chacun tente d'éliminer l'autre pour se rapprocher encore plus du pouvoir. C'est édifiant et nous démontre que les dignitaires nazis n'étaient ni plus ni moins que des margoulins, des fripouilles mais aussi pour certains de belles brutes. Sa vie a un côté burlesque car même lorsqu'il passe à l'ennemi et renseigne Roosevelt sur le Reich, il n'est là non plus pas vraiment pris au sérieux.

Au cours de cette lecture on reste sans voix devant cet homme qui ne veut pas voir qu'il est pris pour un bouffon et, en même temps, il nous touche car on finit par le prendre en pitié devant tant de crédulité qui confine à la bêtise. Ce récit est parfaitement documenté, c'est intéressant historiquement parlant et permet de comprendre un peu plus la fascination qu'Hitler a pu exercer sur les foules ainsi que sur l'évolution des mentalités allemandes entre les deux guerres qui les ont conduit à porter au pouvoir ce petit homme rempli de haines et qui prônait un modèle physique qui ne lui ressemblait pas... Ce livre nous renseigne aussi sur la psychologie d'Hitler, sur son manque total de reconnaissance, lui qui n'a pas hésité à se débarrasser de ses proches les plus fidèles lorsqu'il n'en avait plus l’utilité.

Ce Putzi a réussi à échapper aux épurations du parti nazi, à survivre à la guerre, à la justice après la guerre tout en faisant preuve d'immaturité, de manque de clairvoyance, d'indécision. Est-ce son côté burlesque qui l'a sauvé ? Après cette lecture, on ne sait pas vraiment mais il y a de fortes chances que ce soit cela qui l'ait aidé à passer au travers des gouttes.

Merci à Folio et à Thomas Snégaroff de m'avoir fait découvrir ce personnage atypique et permis de m'immerger au milieu du marigot nazi.