Les Quatre Vents du désir est un recueil de nouvelles d’Ursula K. Le Guin nous emmenant à la rencontre de différents moments ou courants de sa longue carrière d’écrivaine. Les nouvelles sont réparties en six parties, dont je ne suis pas sûre de repérer du premier coup d’œil la cohérence. Poétiques et philosophiques, elles sont tour à tour sombres, tendres et humoristiques.
Une préface de grande qualité, rédigée par David Meulemans, nous renseigne d'abord sur la vie de l'auteure et sur les particularités de son œuvre.
La première partie de l’ouvrage est intitulé Nadir et comporte trois nouvelles. Elles ont une fibre plutôt « scientifique ».
Dans L’auteur des graines d’acacia et quelques autres extraits du Journal de l’Association de Thérolinguistique, un texte écrit en fourmi a été découvert et présente un discours fort inhabituel, ouvert à interprétation. Cette nouvelle captivante nous amène à nous intéresser à la communication, au langage, à l’altérité. Le texte est étrangement poétique malgré ses allures de bulletin scientifique.
La Nouvelle Atlantide est également très poétique par moments mais c’est avant tout un récit glaçant où l’on découvre un monde totalitaire qui sombre, alors que l’espoir d’un autre monde, d’un monde nouveau, se fait lui jour. Poussée à l’extrême, la libération des mœurs amorcée dans les années 1970 interdit à la protagoniste d’avoir un mari, de créer une cellule familiale stable ou à son compagnon de mener des projets scientifiques.
Le Chat de Schrödinger est une nouvelle tellement particulière qu’il est difficile de la décrire. C’est sans conteste la plus loufoque du recueil. Elle est emplie de phénomènes étranges, aux frontières de la folie et sa chute est spectaculaire. Dans le monde, tout s’accélère, les enfants gesticulent si vite qu’on ne les voit plus, les personnes se disloquent. Le protagoniste se réfugie dans un lieu où l’air est plus frais et le rythme plus lent. Soudain, un chat s’invite dans sa retraite.
La partie suivante, Nord, est également composée de trois nouvelles. Le lien avec la famille y occupe une place importante pour deux d’entre elles.
Dans Deux retards sur la ligne du Nord, deux hommes appelés Eduard sont confrontés à des retards de train qui auront de grandes répercussions sur leur vie. Cette nouvelle appartient aux récits d’Orsinia, un pays inventé par Le Guin. Je ne connaissais pas ce pan de sa bibliographie et j’ai adoré le découvrir. Cela se rapproche fortement de la littérature blanche mais le style y est magnifique, introspectif, mélancolique, musical. Moi qui m’attendais à préférer les nouvelles SF ou fantastiques de l’auteur, c’est ce texte pseudo-historique que j’ai préféré.
Dans Le Test, l’assistante d’un fameux professeur nous narre comment son projet d’évaluer la santé mentale de la population a rencontré un succès mondial. La narration instille une dose d’humour à un texte au message plutôt déprimant.
Une pièce d’un sou parvient également à ne pas être (uniquement) sombre mais aussi intrigante. Je pense être passée à côté de certains de ses messages, la raison de certaines scènes restant pour moi énigmatiques. Une jeune fille dit adieu à l’esprit de sa tante, décédée, qui lui apparaît sous plusieurs formes avant d’entreprendre de singuliers voyages.
La partie Est contient quatre nouvelles, dont certaines se rapprochent de contes traditionnels ou modernes.
Premier rapport du naufragé étranger au Kadanh de Derb se lit bel et bien comme l’amorce d’un conte oriental. Un visiteur sur une planète dont on ignore tout se voit demandé de décrire la Terre. Il hésite à décrire sa grande-tante pour partir finalement dans la description d’une ville, avec une telle poésie, un tel lyrisme que cela m’a donnée envie de la visiter moi-même.
Le Journal de la Rose est une nouvelle poignante, dont l’issue est claire dès le début. Un docteur est capable de lire dans les pensées des patients qu’on lui envoie. Seulement, dans ce monde où la pensée est régulée, cette intrusion dans l’esprit des gens comporte bien entendu des dangers.
L’Âne blanc est une autre nouvelle avec des accents de conte et de fantastique. Une jeune femme rencontre un âne blanc alors qu’elle garde des chèvres. Très courte, sa fin laisse un goût amer au lecteur.
Dans Le Phoenix, une femme recueille un homme blessé, un bibliothécaire, lors d’un conflit armé. La femme s’interroge sur la raison pour laquelle il n’a pas fui son lieu de travail quand il en avait l’occasion. Les pensées de la protagoniste offrent matière à réflexion.
La partie Zénith comprend également quatre nouvelles. La plupart situées dans l’espace, elles proposent au lecteur d’adopter un point de vue décalé sur une situation.
Intraphone est une nouvelle complètement loufoque, pleine de rebondissements hauts en couleur. Même si c’est également une invitation à réfléchir à une foule de thématiques (la parentalité, l’altérité etc.), c’est très divertissant.
La nouvelle L’œil transfiguré est bien plus posée. Sur une autre planète, des colons terriens font face à un environnement hostile et doivent prendre des médicaments quotidiennement pour survivre. Certains des enfants nés sur cette colonie humaine sont atteints de handicap. Pourtant, Miriam, l’infirmière de la colonie, va découvrir que certains handicaps n’en sont peut-être pas.
Dans Labyrinthes, un être est confronté à plusieurs labyrinthes et tente de communiquer avec celui qui le soumet à des expériences. On voit vite là où veut en venir Ursula K. Le Guin mais cette nouvelle demeure néanmoins très efficace.
Les Sentiers du désir nous emmènent à la rencontre de trois humains envoyés sur une planète lointaine où une société humanoïde s’est développée. Cette critique de la pulp fiction parvient à être aussi drôle que profonde.
Vient ensuite la partie Ouest avec trois nouvelles dépeignant des vies ou « tranches de vie ». La première surtout a retenu mon intérêt.
La Harpe de Gwilan suit la vie d’une musicienne confrontée aux aléas de la vie. Un texte encore une fois empli de philosophie. La description du rapport de la musicienne à ses instruments est particulièrement bien réalisée.
Malheur County est l’histoire d’une reconstruction après un deuil tandis que L’eau est vaste est sans doute la nouvelle que j’ai le moins comprise. Une femme rend visite à son frère à l’hôpital. L’homme aurait fait une crise de démence.
Les trois nouvelles de la partie Sud sont aussi les dernières du recueil. Deux d’entre elles accordent la parole à des femmes, qui témoignent sur un événement marquant de leur vie.
Le récit de sa femme possède une chute particulièrement efficace et joue sur les images mentales du lecteur.
Quelques approches au problème du manque de temps se lit comme un texte journalistique, dans un monde où le temps est une denrée en voie de tarissement.
Dans Sur, des femmes se lancent dans une expédition vers le pôle au début du XXe siècle, avant même qu’il ne soit atteint par des hommes. Il s’agit d’une nouvelle bien construite et documentée, à laquelle je n’ai cependant pas totalement accroché puisqu’à la différence d’Ursula K. Le Guin, je n’ai pas d’attirance spécifique pour cette thématique. Pour les lecteurs dans le même cas que moi, les notes ajoutées par le traducteur au sujet des expéditions réalisées vers le pôle Sud seront un outil précieux pour mieux comprendre la nouvelle.
Les nouvelles sont suivies de la retranscription d’un entretien avec Ursula K. Le Guin réalisé en 2002 par Hélène Escudié. On y apprend une foule de choses sur l’auteure, son enfance, ses influences, ses thématiques-clefs, la vision qu’elle a de certaines de ses œuvres. L’ouvrage comprend également une bibliographie des œuvres de l’auteure, très fouillée, compilée par Alain Sprauel. Il s’achève enfin par les notes de lecture, que j’aurais personnellement préféré avoir en bas de page où à chaque fin de nouvelle : en epub, selon l’appareil utilisé, ce n’est pas forcément évidemment d’aller chercher la note correspondant à sa lecture en toute fin de fichier et de revenir à sa page ensuite.
Pour résumer, ce recueil offre une très bonne entrée en matière pour découvrir différentes facettes des écrits d’Ursula K. Le Guin, son style et les grandes thématiques traversant ses œuvres.