Les Chroniques de l'Imaginaire

La forêt des mythagos (La forêt des mythagos - 1) - Holdstock, Robert

Après plusieurs années d'absence, Seconde Guerre mondiale oblige, Steven Huxley rentre chez lui, à Oak Lodge, cet ancien manoir du Herefordshire où son frère Christian vit seul depuis la mort de leur père, l'intraitable George Huxley. Les deux garçons n'ont jamais été proches de leur géniteur, toujours pris par ses mystérieuses recherches concernant la forêt voisine de Ryhope. Ce n'est qu'après sa disparition qu'ils découvrent le pot aux roses en lisant ses carnets de recherche : sous les arbres de ce bois ancestral, mythes et légendes prennent vie comme par magie. L'obsession paternelle ne tarde pas à s'emparer de Christian, puis de Stephen, qui s'enfoncent chacun leur tour de plus en plus loin au cœur d'une forêt qui semble plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. Car tous deux sont tombés amoureux fous de la princesse Guiwenneth et ils n'ont qu'un seul rêve, la reconquérir…

L'idée de base de La forêt des mythagos, inspirée des théories de l'inconscient collectif développées par le psychiatre Carl Gustav Jung, est très intrigante : imaginez un petit coin d'Angleterre, vestige des forêts primordiales de la préhistoire européenne, dans lequel les personnages des mythes et légendes populaires (Robin des Bois, Cúchulainn, etc.) prennent vie. Bien sûr, ces mythagos (comme les appelle George Huxley dans ses carnets) sont loin de leurs incarnations actuelles, progressivement aseptisées au gré de siècles de transmission, et se montrent souvent rustres (voire sales comme un peigne), incompréhensibles (voire carrément mutiques) ou encore d'une moralité représentative de leur époque d'origine (autrement dit bien brutaux et violents). Leur nature volatile et éphémère ajoute à leur caractère mystérieux et autre. C'est un régal de suivre Stephen Huxley, le narrateur, reconstituer progressivement les recherches de son père et percer à son tour les secrets des mythagos. Le style de Robert Holdstock est absolument envoûtant, aussi bien pour décrire les clairières, taillis et fourrés de la forêt de Ryhope que pour dépeindre l'ambiance délabrée d'Oak Lodge. Dans les deux cas, on s'y croirait vraiment et c'est un régal à lire.

Là où le bât blesse, c'est dans le traitement réservé aux personnages féminins. On peut les compter sur les doigts d'une main et leur rôle n'est jamais le moteur du récit, elles ne sont là que pour réagir aux actions des hommes ou pour leur transmettre des informations. L'une d'elles est une vieille fille décrite comme tout à fait déplaisante et condamnée à une vie étriquée et sans joie. Une autre est la prophétesse d'une tribu de mythagos qui se trouve être une enfant prépubère intégralement nue dont Holdstock décrit de manière un peu trop détaillée à mon goût le physique. La dernière, c'est Guiwenneth, l'objet du désir de tous les Huxley, même le père. Elle est censée être une princesse guerrière, mais une fois qu'elle commence à cohabiter avec Stephen, elle se contente d'aller de temps en temps à la chasse, de faire la cuisine et de se faire kidnapper. Sa romance avec Stephen sonne particulièrement creux et j'avoue avoir été soulagé de la voir se faire enlever par Christian, tant les scènes de félicité domestique ne sont vraiment, mais vraiment pas le fort de Holdstock. Dommage, donc, qu'elles occupent un bon tiers central du livre.

La forêt des mythagos est donc un roman très frustrant : le genre qu'on aimerait aimer davantage qu'on peut vraiment l'aimer. Hélas, ni son concept ni son style ne sont suffisamment bons pour faire abstraction de ses gros défauts. Robert Holdstock a publié plusieurs romans prenant place dans le même univers et je les lirai sans doute à l'occasion, mais je ne ressens pas une envie dévorante de le faire au plus vite.