Les Chroniques de l'Imaginaire

Les Damnés du Grand Large - Mishel, Kristøf & Penco Sechi, Beatrice

On ne doit pas sous-estimer le pouvoir des conteurs, ces hommes qui allaient d'auberge en taverne, à la recherche du gîte et du couvert en échange d'une bonne histoire à raconter. Et c'est justement l'un d'entre eux qui entre dans cette auberge d'une petite ville portuaire, alors que nous sommes en décembre 1809. L'homme épate déjà son auditoire, rien qu'en se mettant torse nu, en laissant admirer les superbes tatouages qui parcourent son corps. Et ce n'est rien en comparaison de l'histoire qu'il va raconter, qui s'est déroulée vingt ans plus tôt...

Ainsi donc, nous sommes à bord de l'Alicante, un navire marchand parti il y a trois jours, quelque part sur un Océan Atlantique totalement déchaîné. Les marins ont peur, mais ce n'est pas le cas d'un jeune mousse, que l'on appelle Rêveur. Ce dernier est assez solitaire et, entre les basses besognes, il passe le plus clair de son temps à dessiner dans son grand carnet : les dessins, d'ailleurs, y sont tout simplement impressionnants.

Mais bientôt, la rêverie n'a plus sa place, en plein milieu de la tempête, et le jeune garçon est envoyé à la rescousse pour secourir des marins coincés dans les drisses. C'est quelques instants après que la stupeur atteint l'équipage, en découvrant Quemenneur, un gigantesque marin, le plus solide de l'équipage, pendu haut et court, avec la lettre "A" peinte sur son front... Il aurait fallu la force de dix hommes pour parvenir à un tel résultat, avec forcément des traces de lutte. Or, rien de tout cela n'est visible. Et c'est Rêveur qui apporte une explication à cela, en évoquant un immense monstre marin, qu'il a d'ailleurs dessiné dans son carnet, avec encore une fois bien du talent.

Le dessin impressionne un équipage illettré qui ne réfléchit pas beaucoup. L'explication attire aussi pour Rêveur les foudres de l'homme d'église présent au sein de l'équipage. Quemenneur faisait partie de la bande du port, un groupe de quatre marins qui ont été recrutés sur le tard, juste avant le départ. Les trois autres ne savent pas encore qu'ils vont connaître un bien funeste sort...

C'est chez Drakoo que paraît ce Les Damnés du Grand Large, un one-shot rempli d'histoires de marins, qui fleure bon les flots et les aventures sur les océans. C'est à Kristof Mishel (au scénario) et à Béatrice Penco Sechi (aux dessins et aux couleurs) que l'on doit ce one-shot. D'emblée, ce sont justement les dessins et les couleurs qui frappent : c'est beau et coloré, détaillé, et surtout avec une patte graphique. Une qualité rare, notamment lorsqu'on sait que ce one-shot est la première collaboration de ces auteurs.

Les dessins sont ici pour beaucoup dans le bon fonctionnement du récit. Si les marins ont les visages durs et burinés que l'on imagine, tenant parfaitement leur rôle, le jeune Râleur, blond comme les blés, a tout ce qu'il y a de mystérieux pour que la mayonnaise prenne instantanément. Les monstres imaginaires sont une sacrée réussite qui épaississent sans mal le récit, et on peut en dire autant de l'Alicante et des flots déchaînés, qui seraient deux personnages à part entière.

Graphiquement et du point de vue de l'histoire, ce one-shot est une franche réussite, qu'il serait bien dommage de ne pas découvrir.