Le lieutenant Shûichi Hioka est de retour à Hiroshima, pas pour le boulot mais pour l'enterrement d'un oncle. Après la mort de son chef et ami, le commandant Ôgumi, Hioka a été muté à l'antenne de police de Nakatsugô. Il s'agissait pour lui d'une sanction, à cause de ses liens avec Ôgumi, car Nakatsugô est un village isolé où il ne se passe rien et où il n'y a rien à faire pour un policier. Depuis deux ans, il s'ennuie, le temps s'écoule avec une lenteur infinie dans cette campagne où, à part discuter de légumes et du temps qu'il fait, la vie est beaucoup moins trépidante qu'à Hiroshima. Après les funérailles, Hioka passe au restaurant d'Akiko, l'ancienne amie d'Ôgumi, toujours heureuse de le revoir et de préparer des plats spécialement pour lui.
Mais ce soir-là, une réunion a lieu dans le restaurant et Hioka décide de s'inviter quand il découvre que Moritaka Ichinose et Ginji Takii sont présents. Ce sont deux chefs de clans yakuzas que connaissait bien son ancien mentor. Un autre homme est présent, le visage en partie dissimulé par des lunettes de soleil. Ce n'est qu'après un échange avec lui qu'il reconnait Hirô Kunimitsu, chef du gang Gisei, et recherché pour complicité de meurtre. Kunimitsu, surnommé "le chien enragé", est soupçonné d'avoir commandité l'assassinat de Rikiya Takeda, chef de l'Akashi, et ainsi déclenché une nouvelle guerre de gangs. Au moment où il s'en va, Hioka est interpellé par Kunimitsu qui lui demande de lui laisser du temps pour régler certaines affaires et lui promet qu'une fois terminé, il viendra se livrer à lui. Quelques semaines plus tard, Hioka reçoit une étrange invitation de Kunimitsu ; une relation singulière va alors se nouer entre le policier et le yakuza.
Ce roman de Yûko Yuzuki est le deuxième volet d'une trilogie commencée avec Le loup d'Hiroshima où l'on découvrait les personnages d'Ôgumi et de Hioka. C'est un plaisir de retrouver Hioka, qui s'est assagi et a appris à prendre du recul depuis son exil en pleine campagne. Le personnage a mûri, son flegme s'est développé et ses talents d'enquêteur n'ont pas faibli malgré son inactivité forcée. L'intérêt de l'histoire réside dans la relation complexe qui s'établit entre le policier et le yakuza, marquée par le respect et une certaine confiance dans la parole donnée. L'autrice nous plonge de nouveau au cœur des luttes entre clans de yakuzas, où les codes d'honneur et les affiliations sont plus importants que tout. Pour nous permettre de comprendre plus facilement ces luttes et l'influence énorme des yakuzas dans la société japonaise, Yûko Yuzuki insère à chaque début de chapitre des extraits de journaux traitant du sujet. Pour ceux qui n'ont pas lu le premier roman, on découvre la complexité des relations entre la police et les yakuzas, une société où ils se côtoient régulièrement et où les gangs ont pignon sur rue en toute impunité.
J'aime toujours autant ce style d'écriture tout en retenue où l'action est lente et où l'autrice prend le temps de planter le décor et d'installer ses personnages. On s'immerge ainsi doucement dans son histoire et l'on découvre ainsi les codes et les coutumes de la société japonaise. Mais attention, cela ne signifie pas que c'est ennuyeux, bien au contraire. Car la violence est toujours présente, sous-jacente, la menace pèse sur l'histoire et ses personnages. On s'attache à Kunimitsu, cet étrange yakuza qui ressemble plus à Al Pacino dans Scarface qu'à ses comparses plus traditionnels dans leur façon de se vêtir. Son bagou, sa façon de penser et de concevoir la vie changent de l’extrême sobriété qu'affichent d'habitude les truands japonais. Quant à Hioka, son personnage a pris de la profondeur et commence à rentrer dans le costume de son mentor Ôgumi. Je suis intrigué de voir comment il va évoluer dans le prochain tome.
L'ambiance de ce roman est totalement différente des polars européens ou américains qui sont plus marqués par la violence ou par des personnages qui sortent de l'ordinaire. C'est cette différence qui rend ce livre attrayant et qui donne fortement envie de découvrir le prochain tome de cette trilogie.