Les Chroniques de l'Imaginaire

Solaris (Solaris - 223)

Comme chaque année dans son numéro d'été, la revue publie la nouvelle lauréate du Prix Solaris. C'est bien sûr également le cas cette année, et elle ouvre le bal du volet Fictions :

La vie secrète des carapacées, de Geneviève Blouin : Dans une société où la division des tâches est stricte, Manuté dirige le clan des tortes, et il est le marcheur de la Carapacée Hina, à laquelle il est très attaché. Toutefois, Pito, le chef de tous les clans, a d'autres idées que lui sur l'avenir de tous. C'est tout un monde, cohérent et imaginatif, qu'évoque l'autrice de cette nouvelle, avec de surcroît des personnages bien développés, et ce n'est pas étonnant qu'elle ait obtenu le Prix Solaris 2022.

Un amoureux imaginaire, d'Orson Scott Card : Deeny est cette adolescente pauvre et moche qui ne supporte plus sa vie de solitude. Alors elle s'achète un téléphone portable, et prétend y recevoir les appels d'un amoureux. Mais quand son amie Lex le lui arrache, il y a bien eu un homme pour lui répondre. De ce jour-là, il semble que change la vision qu'ont de Deeny les autres élèves du lycée. J'ai beaucoup aimé cette superbe nouvelle, très sensible, avec une progression bien maîtrisée, pour la façon dont elle met en relief les particularités - et les difficultés - de l'adolescence. Je n'ai bien sûr pas lu l'original, mais la traduction de Pierre-Alexandre Sicart m'a paru remarquable.

Comme un parfum d'encens, de Ketty Steward : Désespérant d'avoir un enfant suivant les procédures officielles, Carine et Johan décident d'adopter un petit Haïtien de huit mois, Antonin. Mais dès la première nuit avec le bébé, Carine discerne une étrange créature près du berceau, accompagnée d'un parfum d'encens. Ce texte subtil, original, maintient un équilibre harmonieux entre réalisme et surnaturel, et porte le lecteur ou la lectrice à s'interroger sur ce qui se joue véritablement en Carine, dans son refus quasi-immédiat du bébé.

"Taches" (partie 2), de Claude Bolduc : Jean-Pierre ne vit plus que pour élucider le mystère de ces taches qui semblent se précipiter vers lui. Jean-Pierre ne vit plus, d'angoisse en cafés, en mauvais rêves. Il finit par ressentir l'urgence de sortir. Jean-Pierre ne vit plus. La seconde moitié de cette longue nouvelle, commencée dans le numéro 222 de Solaris, est à la hauteur de la première. La montée dramatique en est remarquablement maîtrisée, de même que l'évolution du personnage principal. En revanche, l'épilogue m'a laissée stupéfaite, et honnêtement j'ai trouvé qu'il nuisait plutôt au texte. Cela dit, j'ai pu manquer quelque chose, aussi...

Dans ses Carnets du Futurible, Mario Tessier explore, avec son exhaustivité habituelle, le thème des Cités miniatures, ou le monde comme oeuvre d'art. La partie historique m'a paru particulièrement passionnante, qui rappelle d'une part le désir de l'empereur Hadrien de reproduire en format réduit, pour son plaisir, des lieux qui avaient du sens pour lui, et d'autre part que la fabrique de plans-reliefs a d'abord répondu à des objectifs militaires. L'ensemble de l'étude couvre ces deux thèmes apparentés, d'où le sous-titre, et j'avoue avoir été éberluée par le nombre de parcs miniatures existant dans le monde actuel. En revanche, je suis restée sur ma faim quant aux productions utilisant ce thème, étant donné qu'elles semblent concerner essentiellement des productions télévisuelles ou cinématographiques, ainsi qu'un nombre non négligeable de nouvelles, mais pas de romans, hélas, à la notable exception - mais c'est un cas très particulier - du Lilliputia de Xavier Mauméjean.

La partie Critiques est réduite cette fois-ci, après l'abondance du numéro précédent de la revue, mais toujours intéressante.