Les Chroniques de l'Imaginaire

Le labyrinthe inachevé - Lemire, Jeff

William Warren est inspecteur en architecture urbaine : avec ses collègues, il a le devoir de faire refaire certains chantiers, lorsque des dysfonctionnements sont constatés. Un métier où il n'est pas forcément aimé... Après quelques années, une certaine routine s'installe, et William se sent de plus en plus dévoré par cette dernière. Mais la vie ne l'a pas aidé... Voilà dix ans que William a perdu sa fille unique, Wendy, emportée par la maladie...

Depuis le drame, celui qui était un père modèle s'est aussi séparé de sa femme, et vit maintenant seul, enfermé dans ce quotidien dans lequel il ne parle presque plus non plus à ses collègues. Autant être clair : Wendy manque toujours à Will, et ce dernier s'interdit de tourner la page, de s'intéresser à autre chose. D'avoir encore une part de bonheur dans les quelques décennies qui lui restent à vivre.

Et puis, un événement inattendu fait basculer les choses, alors que Will rêve de labyrinthes, ces petits jeux que sa fille adorait, où il fallait pouvoir retrouver le centre des labyrinthes. En pleine nuit, son téléphone le réveille, avec un interlocuteur inconnu. Will décroche, et se retrouve avec la voix de Wendy, qui lui annonce qu'elle est vivante, et que son père doit venir la chercher, au centre du labyrinthe...

Jeff Lemire n'en est pas à son coup d'essai avec les éditions Futuropolis, avec notamment des histoires comme Essex County ou Winter Road, qui nous avaient fait de bien belles impressions. Il réitère ici avec Le labyrinthe inachevé, qui est encore une fois une véritable claque. Avec ces traits reconnaissables entre mille, ces visages taillés à la serpe et leurs expressions si singulières, on ne peut qu'être immédiatement plongé au cœur de la vie de cet homme, même s'il l'austérité est de mise, en tout cas en début de récit.

Et il y a la force du récit, cette façon de raconter des choses, avec parfois (souvent !) peu de mots, mais avec un découpage graphique parfaitement travaillé : les pages se tournent vite, on a envie de savoir, et on se retrouve littéralement pris dans ce labyrinthe, dans certaines planches, avec ce découpage des cases qui est inédit. Du grand art !

Le livre traite de bien des sujets : la vie d'un parent après la perte d'un enfant, la façon de se reconstruire après un tel drame familial, le regard des autres qui ne vous voient plus que par rapport au malheur qui vous est tombé dessus... Jeff Lemire nous raconte tout cela avec le talent qui le caractérise, pour un one-shot coup de poing, à côté duquel, tout comme Le petit frère de JeanLouis Tripp, il est impensable de passer.