La Vème République était différente de ce que nous connaissons aujourd'hui, en 1962. Si le Général De Gaulle gouverne le pays, avec ses ministres, il en est un qui sort du lot, avec son rôle de ministre d'Etat, qui est surtout un titre honorifique. Et c'est un certain André Malraux, le plus littéraire des ministres, qui endosse la casquette en question.
Et en 1962, en décembre pour être plus précis, Malraux a fait une proposition étonnante aux Américains, et surtout à une certaines Jackie Kennedy : la France, via le musée du Louvre, propose de prêter la Joconde à deux musées américains, ceux de San Francisco et de New-York. Une idée qui commence par surprendre le Général, mais qui trouve son chemin, parmi les quelques tensions qui existent entre la France et les Etats-Unis, autour de la Guerre Froide. Un prêt qui pourra être considéré comme un geste qui calmera quelques petites tensions.
Et c'est André Malraux lui-même, ministre d'Etat, qui se propose pour faire le voyage à bord du France, paquebot le plus luxueux du pays à l'époque, pour la traversée transatlantique. Et c'est pour le coup au port du Havre qu'on retrouve l'illustre personnage, ignorant les journalistes et les curieux, avec une mine renfrognée qui a de quoi surprendre...
Le ministre est tout simplement malade, au grand désespoir de la conservatrice du musée du Louvre, qui est également du voyage. Pour autant, Malraux ne tardera pas à se montrer, en pinçant même pour une jolie demoiselle issue d'une famille qui a fait fortune dans la métallurgie, et qui s'est mise en tête d'aller faire la révolution à Cuba... L'instant est drôle, et c'est dans un élan de sympathie (ou peut-être simplement pour impressionner la jeune demoiselle ?) que Malraux décide de montrer La Joconde, parfaitement gardée dans une cabine prévue à cet effet, à la jeune fille.
Du mécontentement est bien vite exprimé par bien des personnalités, mais cela n'est rien à côté de la stupeur générale ressentie lorsqu'on se rend compte que Mona Lisa n'est tout simplement pas à l'endroit où elle est censée se trouver... De quoi faire passer la France pour une nation d'imbéciles incapables d'escorter un tableau célèbre, ou en tout cas de quoi provoquer un scandale d'état, que Malraux ne peut tout simplement pas accepter...
Ce sont les éditions Casterman qui nous proposent ce one-shot, Le ministre & la Joconde. Une histoire imaginée et écrite par Hervé Bourhis et Franck Bourgeron, dessinée par Hervé Tanquerelle (qu'on retrouve dans Le Dernier Atlas chez Dupuis), et colorisée avec un soin tout particulier par Isabelle Merlet.
D'emblée, le lecteur est frappé par le travail graphique : l'hommage à la ligne claire d'Hergé est clair, bien présent, avec un traitement des couleurs tout simplement superbe. C'est à souligner : les décors sont superbes, et les personnages, traités plus en ligne claire justement, sont drôles et truculents. Notamment le personnage de Malraux, qui est d'une justesse folle, dans le sens où il est drôle sans jamais tomber dans le ridicule. Exactement comme on pourrait l'imaginer en visionnant de vieilles photos ou vidéos du siècle dernier.
La narration, également, est une vraie réussite : les auteurs sont tombés sur cette histoire de prêt de la Joconde (qui est véridique), et ont imaginé un personnage comme André Malraux, avec toute sa gouaille, accompagnant Mona Lisa dans un voyage improbable, aux risques plus qu'élevés... Les dialogues, ciselés au possible, sont une pure merveille, et les auteurs ont eu beaucoup de réussite et de bonnes idées, en incorporant aussi des personnages secondaires qui prennent toute la lumière, comme ce chef d'orchestre allemand qui vole la vedette à Malraux auprès de cette jeune fille.
Le ministre & la Joconde constitue un moment de lecture tout à fait jouissif, avec une narration parsemée d'humour fin et intelligent, une vraie valeur historique, et un traitement graphique tout simplement remarquable. A découvrir absolument !