Les Chroniques de l'Imaginaire

Hôtel Castellana - Sepetys, Ruta

1957, Madrid, la période sous Franco où l'Espagne essaie de survivre. Les Républicains subissent les années d'après-guerre et c'est le cas de la famille d'Ana. Ses parents sont morts, ont subi les tortures de la milice espagnole. Il faut donc survivre, faire bonne figure, travailler sans relâche, vendre tout ce qu'on peut pour pouvoir manger. Ana travaille à l'Hôtel international Castellana, connu pour accueillir tous les Américains pouvant depuis peu venir faire affaires en Espagne. Franco a besoin d'argent pour son pays. Il faut faire des compromis.

Toute la famille de la belle Ana continue de rêver. Ils travaillent sans rechigner et économisent tout ce qu'ils peuvent. Julia, sa sœur, est couturière et confectionne les habits de lumière des matadors. Rafa, son frère, a pour but d'aider son ami Fuga à devenir aussi un torero. Puri, sa cousine, se dévoue à l'Inclusa, l'orphelinat si bien réputé, et se voue aux enfants pour lesquels elle souhaite une meilleure vie.

Parmi les Américains séjournant à l'Hôtel Castellana, il y a Daniel. Daniel Matheson est un jeune Texan séduisant, échangeant bien facilement les smokings recommandés par sa mère pour un bon jean, une chemise et un ceinturon à la boucle brillante rappelant son Texas natal. Il est apprécié de tous, et se démarque par son appareil photo. L'occasion est belle. Photographier l'Espagne, la face cachée de celle-ci loin de ses clichés, peut lui faire gagner le premier prix d'un célèbre concours américain pour pouvoir faire carrière en tant que photo reporter, mais son père a d'autres ambitions pour lui dans le monde du pétrole. Ana est au service de la famille Matheson et va se lier d'amitié à Daniel. Elle peut lui faire découvrir l'Espagne, la vraie, celle qui souffre. De là, naîtra une belle histoire forte entre ces deux personnages auxquels nous nous attachons passionnément au fil des pages.

Hôtel Castellana est un roman fort, révélant un pays de souffrance, de combat et de fierté. Tous ces visages croisés, toutes ces scènes de rue que Daniel notre jeune héros photographie, pointent le doigt sur la véritable vie des ibériques sous le général Franco. J'ai fortement apprécié ces instants de précision derrière l'objectif de Daniel Matheson. L'impression d'être devant les clichés de Robert Capa ou de Doisneau m'a permis de vivre en Espagne pendant toute ma lecture. Impossible d'échapper à l'atmosphère de ce magnifique hall d'hôtel. Vous pouvez sans peine croiser le sourire de Carlitos, le regard intentionné et chaleureux d'Ana, Ben le journaliste américain fasciné par le jeune talent de Daniel, Nick l'ami écorché par trop d'argent et peu d'amour, Puri recherchant ses origines, Lorenza vendant ses cigarettes aux Américains, Miguel le développeur de photos et le premier spectateur admiratif du travail de Daniel, Rafa fier de son ami Fuga le futur matador et leurs deux destins de vies entremêlés de souffrance et de respect.

J'en ai plus appris sur cette dictature dans ce roman que dans les livres d'histoire à l'école. Les enfants abandonnés ou volés, remis à l'orphelinat si cher à Franco pour les vendre aux bonnes familles contre des milliers de pesetas. Au cours des années franquistes, près de 30 000 enfants sont portés disparus, retirés à leurs parents pour des raisons idéologiques. Certains sont déclarés comme mort-nés, et placés dans des familles adoptives franquistes avec une idéologie plus adéquate et correspondant plus au régime du Général que dans leurs familles biologiques. Certains Espagnols ont découvert jusque dans les années quatre-vingt-dix leur véritable passé.

Aussi, la peur au ventre de la Milice espagnole, la Guardia Civil, qui menace malgré la fin de la guerre les républicains qui se cachent au fin fond de quartiers pauvres et abandonnés. Mais la vie est là, la fierté d'être ce qu'il sont, se battre coûte que coûte pour ne pas oublier. Une phrase me marque et Ruta Sepetys la répète à plusieurs reprises. Etre belle la bouche fermée, disent les femmes : "Estamos mas guapas con la boca cerrada"

L'Histoire sous la dictature est au cœur de ce roman unique, émouvant et inoubliable. Ruta Sepetys signe là un roman d'une grande justesse en mettant en avant le combat des femmes, le combat de tous ces jeunes adultes qui ont vu leurs parents souffrir et qui ne voient qu'une seule issue pour leur patrie : une Espagne libre.