Écoutez : Billy Pilgrim s'est détaché du temps.
C'est comme ça que commence Abattoir 5, le célèbre roman de l'écrivain américain Kurt Vonnegut, et c'est aussi comme ça que commence le roman graphique qu'en ont tiré Ryan North (au scénario) et Albert Monteys (au dessin). L'histoire est la même, celle d'un soldat américain piégé malgré lui à Dresde pendant la destruction de la ville par les bombardiers alliés à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Vingt ans plus tard, ce même Billy Pilgrim est enlevé par les Tralfamadoriens, des extraterrestres qui l'exposent dans un zoo et lui exposent leur vision de la vie, dans laquelle le libre-arbitre n'existe pas et tout ce qui doit arriver est déjà arrivé.
Il s'agit d'une adaptation très fidèle au matériau d'origine, dont elle reprend de nombreux dialogues tels quels. Elle l'annonce d'ailleurs dès les premières pages : « Les deux versions de l’histoire sont très proches, sauf que la nôtre a plus d'images. ». La version française de Clément Baude gomme un peu cette fidélité en ne reprenant pas toujours les choix effectués par Lucienne Lotringer dans sa traduction du roman. Le leitmotiv « Ainsi vont les choses » laisse ainsi sa place à un « C'est comme ça » qui m'a paru un peu plus fade (mais c'est peut être mon habitude de la VF du roman qui parle).
« Fidèle » n'est pas pour autant synonyme de « servile ». Ainsi, les premières et dernières pages du récit, qui étaient racontées par Vonnegut à la première personne dans le roman, passent ici à la troisième. C'est un bon choix, à la fois respectueux de l'auteur et qui souligne le caractère ambigu de ces passages. Ailleurs, les auteurs de ce roman graphique montrent qu'ils savent se servir des codes du médium à leur avantage. Quand Billy regarde un film, les cases et phylactères habituels laissent ainsi place à un story-board crayonné. Plus loin, l'écrivain de pulps raté Kilgore Trout devient un auteur de comics tout aussi idiot. Albert Monteys s'amuse dans ces pages-là à imiter le style graphique des bédés américaines des années 1950-1960 ; même le grain du papier est reproduit ! Le livre est bourré de ces petites trouvailles ludiques qui rendent un bel hommage au post-modernisme de Vonnegut.
Graphiquement, c'est une BD au trait simple et épuré. Elle est donc très lisible et offre à l'occasion de cases superbes, comme les deux grands panoramas de Dresde, avant et après les bombes incendiaires. Les couleurs sont également de toute beauté.
Adapter Abattoir 5 en bande dessinée avait tout de la gageure, mais force est de constater que Ryan North et Albert Monteys s'en sont tirés avec brio. Leur interprétation du roman de Kurt Vonnegut, aussi malicieuse que respectueuse, est une vraie pépite, à mettre entre toutes les mains !