Jardins de poussière est un recueil de vingt-cinq nouvelles écrites par l’écrivain américain de science-fiction d’origine chinoise Ken Liu. Le livre s’ouvre sur une préface de l’auteur, qui se félicite de la parution de ce second recueil de ses textes en français et qui précise que le choix des nouvelles formant ce recueil n’est pas le sien mais qu’il l'apprécie. Pour l’auteur, le recueil se construit en quelque sorte en deux parties. La première, jusqu’à la nouvelle Jours fantômes, aborde de nombreuses thématiques. Si la science-fiction y est bien présente, et surtout dans Le jardin de poussière qui donne son nom à l’ouvrage, elle est surtout prétexte à imaginer différemment les liens entre générations ou/et cultures. Elle se pare d’accents fantasy voire historiques. La deuxième partie du recueil correspond davantage à l’image qu’on se fait traditionnellement de la science-fiction en abordant le sujet de la technologie et en se confrontant à l’espace infini.
Le recueil commence par la nouvelle qui lui donne son nom Le jardin de poussière. Arrivé sur une planète hostile, l’ordinateur de bord d’un vaisseau spatial réveille le membre le moins nécessaire de l’équipage pour effectuer une tâche vitale pour la conduite de la mission mais hautement dangereuse. Cette première nouvelle a tout pour charmer le lecteur de SF : un vaisseau spatial, une mission risquée mais aussi une grande poésie.
Changement complet de décor avec La fille cachée, qui adopte un cadre historique : la Chine du VIIIe siècle. Une jeune fille est enlevée à sa famille dans le but de devenir une meurtrière, aux pouvoirs insoupçonnés. Pour moi, cette nouvelle n’est en rien de la science-fiction. Même si l’auteur la qualifie de fantasy, elle adopte pour moi davantage l’allure d’un conte, d’une légende. Bonne chasse reste sur cette note mythologique, en recourant à des éléments de folklore, mais nous entraîne dans une atmosphère davantage steampunk. Il y est question de deux êtres apprenant à concilier des traditions, des identités passées et modernité.
Rester et Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes sont deux nouvelles appartenant au même univers. J’avais eu l’occasion de lire la première seule, dans une revue. Isolément, elle est d’une grande puissance narrative : dans le futur, l’humanité trouve un moyen de défier la mort en téléchargeant la conscience humaine sur des serveurs. Mais l’âme demeure-t-elle intacte ? Est-ce un stratagème des machines pour décimer l’humanité ? Le caractère très sombre de cette première nouvelle se trouve désamorcée quand la seconde nouvelle est lue à la suite. En effet, celle-ci répond aux questions existentielles posées par la première de manière bien plus positive qu’on aurait pu s’y attendre, tout en apportant une vision plus nuancée sur le choix proposé à l’humanité. Dans les deux cas, on assiste à des drames familiaux puisque tous les membres d’une même famille ne font pas toujours le même choix. Il y est question de libre arbitre, d’amour, de deuil, de confiance et de renoncement.
Souvenirs de ma mère a été adapté de manière très efficace en court-métrage par David Gaddie. Ce texte très court est particulièrement poignant. Une jeune mère de famille y apprend en effet être atteinte d’une maladie mortelle, ne lui laissant que deux ans à vivre. On lui offre l’opportunité de travailler sur un vaisseau spatial et d’alterner entre des phases d’éveil et de longues phases de sommeil qui lui permettront de rendre visite à sa fille tous les sept ans pour une nuit. On retrouve ici aussi des accents fantastiques, la petite fille comparant sa mère à une bonne fée, dans un environnement futuriste.
Le Fardeau est bien plus humoristique. On y découvre un couple s’expatriant sur une autre planète, lui pour y exercer sa passion de la xénoarchéologie sous l’égide d’un professeur de renom et elle pour obtenir plus rapidement son diplôme d’expert-comptable. On y découvre que la traduction est pour beaucoup une affaire d’interprétation.
Dans Nul ne possède les cieux, un frère et une sœur sont confrontés aux desseins impénétrables des divinités. Cette nouvelle, plus sombre, m’a moins touchée.
On retrouve un couple dans Long courrier. Aux commandes d’un Zeppelin, les époux livrent à un journaliste leurs espoirs et projets de vie mais aussi la manière dont leur couple mixte et multiculturel fonctionne.
Dans Nœud, la manière de consigner l’histoire adoptée par un peuple des montagnes pourrait bien être le salut comme la perte d’une partie de l’humanité. Plus introspective et douce-amère, cette nouvelle amène à réfléchir aux conséquences d’une bonne action.
Sauver la face est une autre nouvelle abordant les échanges entre cultures, les potentiels conflits mais aussi progrès en résultant. L’angle est comique et bien trouvé : deux intelligences artificielles tentent d’aider des humains, l’un représentant une entreprise américaine, l’autre chinoise, à conclure un accord commercial. Les non-humains devront cependant composer avec l’illogisme généré par les sentiments et stéréotypes des humains.
Un pont, ou plutôt un tunnel, est également construit entre l’Asie et les Amériques dans Une brève histoire du Tunnel transpacifique. Cette histoire alternative suit un personnage ayant contribué au forage du tunnel et qui, témoin d’actes indescriptibles, va peut-être trouver la force de sortit de son immobilisme au contact d’une étrangère.
Jours fantômes explore la transmission d’une culture, de souvenirs… quand une jeune extraterrestre se trouve forcée à réaliser un exposé en lien avec un objet de la famille de sa professeure humaine. La progression de souvenirs en souvenirs est bien trouvée, réinterrogeant constamment la question de la transmission sous un angle subtilement différent… tout en restant très similaire.
Ce qu’on attend d’un organisateur de mariage est un texte très court, qui accomplit le tour de force d’être à la fois drôle et glaçant.
Messages du Berceau : L’ermite Quarante-huit heures dans la mer du Massachusetts est une invitation à penser aux conséquences de l’aide humanitaire auprès de personnes n’ayant rien demandé, de donner à une population un niveau de confort qu’on pense incontournable et dont elle ne veut pas forcément mais aussi de la volonté de restaurer un environnement à son état antérieur.
Je dois avouer ne pas avoir pu lire la nouvelle suivante, Empathie byzantine, dont les premières pages nous rendent témoin de la mort atroce d’un bébé devant les yeux de son aîné, à peine plus âgé.
Dolly la jolie poupée va se trouver malgré elle partie prenante d’un nouveau continent de plastique et d’amitié déçues. Un texte poignant aussi bien sur les effets de la fast-fashion que de la valeur sentimentale conférée (et ôtée) aux objets.
Dans Animaux exotiques, les dérives sont autres : des êtres dotés de souvenirs et de gènes humains mais disposant de caractéristiques animales sont créées pour servir d’esclaves sexuels. L’un d’eux se donne pour mission de survivre tout en délivrant les siens. Lors d’un sauvetage peu conventionnel, il va en apprendre un peu plus sur ses origines.
Vrais visages se frotte au sujet de la discrimination à l’embauche, de la lutte contre celle-ci et de ses déboires, surtout quand la technologie est de la partie.
La technologie de Moments privilégiés veut elle se mettre au service des jeunes parents, avec tout autant de bonne volonté et tout autant de conséquences imprévues. Ces deux nouvelles fonctionnent bien, en nous mettant dans la peau de protagonistes s’attirant malgré eux le courroux de leurs pairs.
Rapport d’effet à cause manie le concept de voyage temporel et le couple à une bataille spatiale pour nous offrir un texte truffé d’action !
Imagier de cognition comparative pour lecteur avancé reprend certaines des thématiques déjà croisées dans les nouvelles précédentes : une mère partie au loin, l’attrait de l’espace, les souvenirs, la transmission, le respect des choix opérés par l’autre, un père confronté à de grands bouleversements. En ce sens, ce récit trouve bien sa place dans ce recueil, tout en étant cependant moins marquant que d’autres textes du recueil, bien que sa conclusion soit très belle.
Dans la Dernière semence, la focale est renversée : ce ne sont plus les parents qui s’adressent à leur enfant mais l’enfant qui s’adresse à ses parents… tout en œuvrant à la perpétuation de la vie dans l’univers. Le dénouement y est insolite et bien trouvé.
De même, dans Sept anniversaires, une fille s’adresse à sa mère et œuvre dans ses pas pour protéger la planète.
Enfin, Printemps cosmique, la dernière nouvelle du recueil, repart dans les étoiles. Ce texte énigmatique, onirique, oscillant entre fatalité et espérance, qui ne délaisse pas non plus la question de la transmission, est une petite pépite.
Les nouvelles de Ken Liu sont accessibles, plus que celles de nombreux auteurs de SF s’emparant de de ce format pour partager des réflexions philosophiques ou politiques. Si cet ouvrage n’est pas dépourvu de telles considérations, il donne cependant à voir les thèmes chers à l'auteur, relativement universels et simples à appréhender : la transmission, la famille, l’identité culturelle. Ces nouvelles s’ancrent dans un univers de science-fiction plus ou moins marqué, de la « hard sf » en plein espace, à celle plus soft située dans un futur proche, avec des manifestations fantastiques, qui devrait plaire aux lecteurs de science-fiction appréciant aussi la fantasy ou le fantastique.