Les Chroniques de l'Imaginaire

Wohlzarénine - Kennel, Léo

Basiléïa est une femme âgée, qui peste contre son auxiliaire de vie qui ne la laisse pas en paix et jette les bouts de papier sur lesquels elle écrit. Sue-Chantal, auxiliaire de vie, délaisse sa patiente pour s’absorber dans un ouvrage de Marc Desportes. Olmelle Quesnis vient rendre visite à Basiléïa dans le cadre de sa thèse.

Un point commun lie ces femmes : Basile Wohlzarénine. Basiléïa, au prénom curieusement similaire, écrit. Sue-Chantal lit Basile Wohlzarénine ou l’homme qui voulut vivre ses vies. Le travail de thèse d'Olmelle s’intitule "Basile Wohlzarénine, narrateur multiple".

Wohlzarénine est un ouvrage exigeant une grande attention et une grande érudition de son lectorat. Sa première partie, séautographies, nous présente en quelque sorte la vie de cet écrivain fictif ou, du moins, le mystère entourant sa vie. L’écart est grand entre le récit pour grand public écrit par Marc et celui, moins linéaire, peuplé d’extraits, fait par Olmelle. Sue-Chantal et Basiléïa sont en arrière-plan de ces écrits, leurs commentaires presque secondaires.

Basile Wohlzarénine semble être le fruit d’inspirations diverses : Pérec, Kafka, Calvino et d’autres encore. Cela se ressent dans les récits de sa vie qui forment la première partie de l’ouvrage mais peut-être plus encore dans la deuxième partie, qui n’est autre que son œuvre-phare Badual Signa ou le narrateur face à l’attroupement. Si la première partie avait de quoi dérouter le lecteur par les récits d’une vie aux multiples identités, la seconde est tout aussi dépaysante. Cette œuvre se compose de très courtes nouvelles, entrecoupées d’échanges e-mails aux accents SF. Les nouvelles débutent par des extraits d’autres auteurs, réels cette fois-ci, qui servent d’amorce à ce qui nous est raconté. On ne peut pas parler d’histoires tant les scènes narrées sont surréalistes. Badual Signa, sorte d’entité, de muse ou de démon, y rôde de loin en loin, sans que l’on puisse pleinement définir sa nature.

Il en ressort l’impression d’un ouvrage à serrure, qu’il conviendrait de parcourir armé de nombreuses clefs de lecture pour parvenir à bien l’appréhender. Je dois avouer ressentir des sentiments contradictoires à son encontre. D’un côté, j’ai aimé la plume, l’usage de mots abscons, les enchaînements de phrases semblant parfois n’avoir aucun sens mais forts d’une grande puissance poétique, les réflexions sur l’identité, la narration, sur l’idée-même de récit. D’un autre côté, je me suis souvent sentie comme Sue-Chantal, l’inculte petite auxiliaire de vie sentimentale qui ne comprend rien à la grande littérature : il m’a souvent manqué la culture littéraire pour comprendre le texte… et ce n’est pas un sentiment très agréable de le réaliser. La littérature de l’imaginaire, que je connais mieux, est parfois convoquée, avec Mélanie Fazi par exemple, mais le plus souvent, c’est vers la littérature blanche et « intellectuelle » pourrait-on dire que se tourne ce livre.

Pour résumer, si vous aimez les ovnis littéraires et que vous avez une grande culture – Borges, Perec, Kafka, Duras n’ont pas de secrets pour vous – alors cette lecture pourrait fort bien vous convenir. Si vous avez été, comme moi, biberonné à une soupe populaire, vous pourriez aimer ses sonorités sans être à même d’en déchiffrer la partition.