Les Chroniques de l'Imaginaire

Les étoiles sont légion - Hurley, Kameron

Zan se réveille dans une infirmerie, sans aucun souvenir. Impossible de se rappeler qui elle est, d’où elle vient, ce qui l’amène en ce lieu étrange. Jayd, celle qui l’a veillée, se présente comme sa sœur et lui indique qu’elle revient d’un assaut contre un vaisseau-planète, dont elle serait la seule survivante. D’instinct, Zan sent que la réalité est plus complexe. Les sentiments qu’elle éprouve spontanément à l’égard de Jayd sont loin d’être ceux qu’on a pour sa famille. Plus étrange encore, elle ne reconnaît pas les lieux qui sont censés être ceux où elle a toujours vécu, ni leurs mœurs cruelles : les tunnels faits de chair sont pour partie constituées de certaines de ses sœurs, dont la chair a été recyclée.

Les étoiles sont légion est un roman extrêmement dépaysant. Planètes ou navires, êtres vivants distincts de leurs occupants et conscients ou sommes de leurs composants humains ? Les mondes de cet ouvrage sont mystérieux. La vie et la mort y sont intimement liés, pour partie à travers les grossesses mystérieuses et parfois sordides que connaissent l’ensemble de leurs habitants – ou devrais-je dire de leurs habitantes puisqu’aucun homme ne sera ni croisé ni mentionné en ces pages.

Avec Zan, les lecteurs vont tenter de comprendre le fonctionnement de ces mondes mais aussi de recoller les morceaux de l’intrigue. Car Kameron Hurley nous plonge en plein milieu d’un complot d’envergure, dont le but ne s’éclaircit qu’à mesure que l’on progresse dans le récit comme dans le « corps » des mondes rencontrés. Le roman marie habilement plusieurs registres : l’intrigue contient autant de strates successives que ses mondes, dont les habitants vivent aussi bien dans le noyau que proches de la surface. La première strate est celle d’un conflit politique, d’une guerre pour l’obtention de ressources vitales et la survie d’un univers en ruines. Les autres se rapprochent d'une science-fiction plus ancienne, à la découverte de l'inconnu y compris à l'intérieur de son propre organisme.

La narration alterne entre Zan et Jayd, et c’est cette dernière qui nous fait découvrir ce pan du récit. Loin de nous divulguer le passé de Zan, Jayd nous fait nous intéresser davantage encore à la nature des événements ayant pu se produire avant le début de l’ouvrage et à la nature de l’amnésique : instrument ou pièce maîtresse de manigances ? Ces chapitres narrés par Jayd comportent leur lot de sensations fortes mais ce sont surtout ceux de Zan, plus nombreux, qui m’ont captivée. Les chapitres de Zan regorgent d’aventures spatiales avec armes biologiques et d’incursions à l’intérieur de mondes qui ne sont pas sans faire penser à Voyage au Centre de la Terre.

Cette combinaison d’atmosphères bien différentes confère une identité particulière au récit, renforcée par la nature très spéciale des mondes explorés. Dans sa quête de vérité, Zan va rencontrer des personnages secondaires attachantes, qui ont toutes leur vision de leur place dans le monde et qui apportent un véritable plus au récit. Autre élément insolite de l'ouvrage : la question de la reproduction, de la procréation et de la maternité sont au cœur de l’intrigue. Ce n’est pas si courant que cela quand la science-fiction s’aventure dans l’espace. Mon expérience de lectrice m’a plus habituée à voir ce thème abordé dans des nouvelles et romans plus introspectifs, situés dans des futurs proches ou moins exotiques que celui dépeint ici. D’ailleurs, on ignore s’il s’agit du futur ou non, d’une humanité ou d’une proto-humanité.

La description des environnements est particulièrement efficace. Les planètes-navires amas de chairs dérivant dans l’espace regorgent d'un fort potentiel poétique.

Les étoiles sont légion est un roman bouleversant, à la croisée de plusieurs influences. Il peut se lire sans prise de tête, uniquement pour ses aventures, son action, ses complots. Toutefois, les amateurs de science-fiction un peu philosophique y trouveront leur content de réflexions.