Les Chroniques de l'Imaginaire

Dédales (Dédales - 1) - Burns, Charles

Charles Burns est un des plus grands représentants de la bande dessinée d'auteur nord-américaine. Après des études artistiques aux côtés de Matt Groening (auteur des Simpsons), il fourbit ses premières armes en 1981 au sein de la revue d'avant-garde RAW, à l'invitation d'Art Spiegelman à qui l'on doit le roman graphique Maus. Multi primé aux États-Unis, il accède à la reconnaissance internationale lorsqu'il reçoit en 2007 le prix Essentiel au festival d'Angoulême, venu couronner sa série emblématique Black hole, poursuivie pendant dix ans. Dédales, sa plus récente création, est publiée exclusivement en France depuis 2019 par les éditions Cornélius.

Absorbé par son reflet déformé dans son grille-pain chromé, le jeune Brian est penché sur son carnet à dessin alors que ses amis font une fête dans la pièce adjacente. Isolé du reste du groupe, son esprit vagabonde dans son monde intérieur au sein duquel il se sent "plus vivant" jusqu'au moment où une femme arrive derrière lui. Cette rencontre avec Laurie, à la personnalité plutôt rationnelle, et Brian, le créatif introverti et asocial, constituera l'enjeu majeur de l'intrigue.

A travers cette série qui se révèle non moins ambitieuse que les précédentes, il renoue avec ses thèmes de prédilection : l’angoisse, les relations amoureuses et le passage à l'âge adulte. Entre récit autobiographique et fiction, l'auteur parvient à se renouveler en délaissant notamment son cortège de personnages baroques à l'apparence grotesque ou hybride pour se focaliser sur l'essentiel : ses rapports à la création et aux femmes. L'auteur étant connu pour ses dessins magnifiant le noir et blanc, on aurait pu craindre une perte d'impact visuel mais le passage à la couleur est plutôt bien négocié à travers un graphisme toujours aussi stylisé que rigoureux : clairs-obscurs, surfaces hachurées et lignes claires hergéennes aux traits noirs épaissis. Les aplats de couleur soulignent, en outre, des paysages aussi hypnotiques qu'inquiétants où les forêts crépusculaires et organiques, peuplées d'arbres pourvus de curieuses excroissances, se font le miroir des angoisses de son narrateur-auteur. Angoisses qui se matérialisent d'ailleurs dès la couverture de l'album avec la chevelure de Laurie qui semble être l'extension de ces arbres.

Dès l'apparition de Laurie, l'auteur en fait la seconde narratrice du récit en nous livrant ses pensées intimes. Ce point de vue double s'ajoute aux mises en abyme, aux inserts d'images cinématographiques - films d'horreur en super 8 et références directes à L'invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel - ainsi qu'aux allers-retours entre représentations de la réalité et de l'inconscient. Ce dispositif, caractéristique de la complexité narrative du bédéaste, donne une force et une profondeur uniques à l'histoire de son anti-héros.

Cette série en cours, annoncée de prime abord comme une trilogie, pourrait finalement se prolonger sur quatre voire cinq tomes, selon son auteur. De quoi nourrir à nouveau notre curiosité devant la beauté complexe et l'étrangeté des mondes imaginaires de Charles Burns.