Au début du siècle dernier, des centaines de Japonaises se retrouvent sur un bateau à destination des États-Unis. Leur but : fuir la pauvreté, une situation familiale précaire ou une pression sociale étouffante, pour épouser un homme qu'elles ne connaissent que sur photo. Au bout du voyage, la déception le plus souvent. Les hommes ayant menti sur leur âge, leur situation et même parfois ce n'était pas eux sur les photos. Ces hommes ne recherchaient pas l'amour ni une véritable vie de famille mais plutôt quelqu'un pour leur tenir compagnie, s'occuper d'eux et la plupart du temps une bête de somme pour les aider dans leur travail harassant. Malheureusement pour ces jeunes Japonaises déracinées, le racisme latent omniprésent compliquait aussi leur adaptation à leur nouvelle vie. Ce n'est qu'à force de travail et de discrétion qu'elles finiront par être acceptées dans ce pays même si le plus souvent elles ne fréquentaient que des membres de la communauté japonaise. C'est cette vie faite d'espoir, de déceptions et de mélancolie que nous suivons au travers de la destinée de ces femmes qui ont quitté leur pays en quête d'une vie meilleure, plus libre et pleine de rêves.
Ce court roman nous conte la vie de ces femmes et leur tragique destinée dans un pays qui les a tolérées pour s'en méfier par la suite et les déporter une fois la guerre déclenchée. L'auteure nous parle de rêves brisés, de désespoir, de déchirement entre deux cultures et de trahison d'un pays pour lequel elles ont tout donné, leur travail, leur argent et leurs enfants. Car les enfants se sentiront américains pour la plupart et ne connaîtront rien du pays de leurs parents au grand dam de leurs mères. C'est un livre plein de mélancolie, de tristesse, de désespoir et parfois de petites joies pour ces femmes oubliées.
L'écriture est belle, fluide mais le procédé narratif m'a malheureusement laissé de marbre. Julie Otsuka, plutôt que de nous raconter la vie de certaines de ces femmes, utilise pour sa narration les mots "certaines" et "nous" pour faire parler ses personnages sans s'attacher à certaines en particulier. C'est bien là qu'est le problème pour moi, ce procédé met de la distance entre nous et ce récit et, même si leur destin est tragique, je n'ai ressenti que peu d'empathie pour ces femmes et c'est bien dommage. Leur histoire, leur vie de labeur dans ce pays, leur déracinement, tout était là pour me toucher, me bouleverser mais je suis malheureusement resté en marge de ce récit. Cette succession de voix comme des litanies est certes originale mais peut laisser pantois et finir par lasser. Peut-être que cette façon d'écrire et de décrire marque une certaine pudeur et que cela rejoint la façon de vivre et de penser de cette communauté japonaise qui jamais ne s'est plainte ni révoltée de ce qu'elle a subi au fil des ans.
Heureusement, ce roman nous permet de découvrir l'histoire oubliée de ces femmes, de ces migrantes en quête d'une vie meilleure qui ont tout fait pour ne pas froisser leur pays d'accueil, qui sont restées discrètes (trop ?) et qui dans leur souci de ne pas se faire remarquer ont été presque rayées des mémoires. Merci à Julie Otsuka de leur avoir rendu hommage et de nous avoir parlé d'elles.