Frank Fools Crow était un Homme-médecine des Sioux lakotas mais, plus que ça, il était un chef cérémoniel et spirituel et a été considéré comme un Saint-Homme jusqu'à la fin de sa vie. Thomas Mails l'a côtoyé pendant des années, et ce livre est le résultat des longs entretiens qu'ils ont eus à propos des traditions, des croyances Sioux et surtout de sa pratique d'Homme-médecine. Fools Crow, qui a vécu jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, est né l'année du massacre de Wounded Knee marquant la fin des guerres indiennes. Il a connu les réserves où était parqué son peuple, son inaction et son désespoir puis sa dérive vers l'alcoolisme qui ont conduit les Sioux à oublier leurs anciennes coutumes. Puis il a vu le sursaut des années soixante-dix où des activistes indiens ont revendiqué leurs droits, et a plaidé pour le retour des Black Hills (leurs montagnes sacrées) en leur possession. Mais l'essentiel de sa vie, Frank Fools Crow l'a passée à soigner son peuple, à perpétuer les traditions, faisant renaître la Danse du soleil qui est une fête essentielle de la tradition Sioux. Cette danse qui avait été interdite en 1904 est une cérémonie, un rituel collectif de prières par lequel les danseurs appellent Waka Tanka (le Grand Esprit) pour qu'il vienne en aide à un proche dans le besoin ou malade.
Si Frank Fools Crow a accepté de révéler certaines pratiques à l'auteur, c'est qu'il estimait que le Pouvoir et ses usages qui lui ont été donnés devaient être transmis à d'autres pour ne pas se perdre. Pour cet homme, le Pouvoir qu'il a reçu est destiné à accomplir des guérisons physiques et spirituelles et pas à donner du pouvoir sur les autres. Selon lui, c'est Waka Tanka et ses Auxiliaires qui sont la Source du Pouvoir et qui se servent de lui pour aider son peuple. Pour cela, un Homme-médecine doit avoir une vie irréprochable et faire passer les autres en premier, ne pas demander plus en retour que ce qu'il peut raisonnablement attendre sinon ce sont des êtres mauvais qui lui donneront le pouvoir.
Ce livre d'entretiens nous laisse percevoir les croyances des Sioux, leurs liens avec la nature et la terre. Certaines réflexions de Fools Crow résonnent encore plus maintenant, plus de trente ans après sa mort. Voilà comment il expliquait les maux du monde : "Seuls les hommes ont le pouvoir de déséquilibrer la Terre et, quand ils déséquilibrent la Terre, ils se déséquilibrent eux-mêmes". Pour lui toute chose a son rôle, les plus petits animaux, les cailloux, le sable et il pensait que lorsque nous endommagions l'une d'elles, nous nous endommagions.
Il est difficile de résumer en quelques lignes la philosophie de vie de cet homme, de restituer ses explications sur sa pratique et ses croyances. C'est un livre qui mérite d'y revenir plusieurs fois en laissant beaucoup de temps entre chaque lecture (des années peut-être) pour tenter d'appréhender une partie de son savoir. Ce que l'on retient après cette lecture, que l'on croie ou pas en des forces spirituelles supérieures, c'est la grande sagesse de cet homme, sa bonté, sa force tranquille et son bon sens vis à vis des hommes et de la nature. Là où je rejoins Fools Crow, c'est lorsqu'il dit qu'une chose nécessaire pour être un bon Homme-médecine, c'est le sens de l'humour car pour lui le rire brise la tension et est un très bon guérisseur.
Cet ouvrage permet de découvrir de manière approfondie les rites et coutumes indiennes, de comprendre leur attachement à la nature, de voir ce que la société moderne a détruit et ce lien que nous avons perdu avec la Terre qui nous a conduit dans une impasse écologique. Je pense que pour mieux discerner cet homme et ses pouvoirs, il est peut-être nécessaire de lire le premier livre que l'auteur lui a consacré : L'Homme-médecine des Sioux. Étant très réticent par nature à tout ce qui touche à la religion, après cette lecture je me suis dit que peut-être cet homme qui s'est battu pour perpétuer et transmettre les traditions de son peuple, qui s'est donné entièrement et jusqu'à la fin pour soigner les maux des autres et qui a tenté de préserver son peuple de la modernité excessive, a finalement bien mérité son surnom de Saint-Homme des Sioux.