Les Chroniques de l'Imaginaire

La crue - Hassinger, Amy

Rachel Clayborne est une jeune maman qui se sent complètement perdue depuis la naissance de sa fille. La fatigue, la peur de mal faire et les nuits sans sommeil l'ont complètement épuisée. Elle se sent nulle, surtout que son mari semble parfait, s'occupant d'elle et du bébé, mais elle ne supporte plus ses idées bien arrêtées et son côté control freak. Alors quand son père l'appelle pour lui parler de sa grand-mère qui décline fortement et de la Ferme que celle-ci voudrait léguer à Diane son aide de vie, Rachel saisit l'occasion pour s'enfuir en pleine nuit avec son bébé sans prévenir Michael et rejoindre la Ferme qui a marqué son enfance et où elle n'a pas mis les pieds depuis huit ans. Cette propriété, c'est l'arrière6grand-père de Rachel qui l'avait acheté au grand-père de Diane, ces terres appartenaient à la tribu des Ojibwés et c'est pour cette raison que Michael a décidé de boycotter le lieu et de ne plus y revenir, forçant inconsciemment Rachel à le suivre.

Pour Rachel, c'est un retour difficile émotionnellement d'abord car sa grand-mère est de moins en moins lucide, ensuite parce qu'elle ne va pas cesser de s'opposer à Diane et enfin parce qu'elle retrouve Joe, son premier amour et fils de Diane. Au fil des jours, Rachel se rend compte qu'en ne venant plus à la Ferme pendant toutes ces années, elle s'est coupée de sa famille, de ce lieu qu'elle adorait et surtout d'elle-même. Elle comprend qu'elle n'a pas vraiment choisi sa vie, qu'elle s'est laissé porter par les événements et qu'elle a subi l'influence de son mari. Dès lors, elle va essayer de reprendre sa vie en main et pourquoi pas tenter de garder la Ferme, ce lieu qu'elle adore et où elle s'épanouit enfin.

Ce roman est composé de trois histoires simultanées. Il commence avec une histoire de famille concernant un futur héritage et les probables déchirements qui en découleront. Puis on dérive lentement vers une histoire de terres amérindiennes spoliées plus ou moins légalement, des traumatismes qui en ont découlé et d'un éventuel retour des terres à ses légitimes propriétaires. Et enfin, la troisième histoire concerne la construction d'un barrage qui a inondé un village, coupé une rivière sauvage et exproprié des habitants, amérindiens le plus souvent, pour laisser la voie libre au progrès et à la fée électricité. Le point commun de ces trois histoires est la famille Clayborne qui a racheté la Ferme et ses terres et dont l'un des membres a construit le fameux barrage.

L'auteure entremêle parfaitement les histoires, chacune étant étroitement liée aux autres sans que l'une prenne vraiment la prééminence sur les autres. Le personnage de Rachel est intéressant à plus d'un titre. Nous la découvrons déprimée, épuisée et complètement perdue face à sa maternité. Ses sentiments sont ambivalents vis à vis de son bébé et l'on sent qu'elle s'est perdue dans son mariage avec son mari tellement plein de certitudes qui l'étouffe sans qu'il s'en rende compte par son intransigeance. Non seulement nous nous intéressons à la vie de Rachel mais nous observons sa psychologie évoluer, son auto analyse que le lieu lui a permis de faire et que sa grand-mère a involontairement déclenché. Le côté de la spoliation des terres est plus anecdotique mais reste toujours présent dans les rancœurs et non-dits qui affectent les personnages.

S'ajoutent à cela deux histoires d'amour, celle avec Joe et celle avec la Ferme où Rachel redevient vraiment elle-même, où sa vraie nature reprend le dessus. Amy Hassinger nous raconte d'abord l'histoire d'une femme qui ne sait plus qui elle est ni ce qu'elle veut pour son avenir. Puis en foulant les terres de son enfance, en parcourant les bois et en s'imprégnant de nouveau de l'atmosphère de la Ferme, elle se redécouvre, l'amenant ainsi à prendre une nouvelle orientation dans sa vie en la reprenant en main pour penser d'abord à elle. L'autre, c'est celle avec Joe, ce premier amour fusionnel puis ce déchirement lorsqu'il rejoint l'armée que Rachel considère comme une trahison. Cette relation s'est interrompue après son retour d'Irak, défiguré, une rupture due à la colère, aux rancœurs et aussi par la faute de Diane.

Le côté écologique est finement abordé par ce fameux barrage qui a été une catastrophe pour les habitants mais qui l'est aussi du point de vue écologique. On oublie souvent ce mauvais côté d'un barrage qui non seulement détruit une vallée, des habitations ancestrales mais aussi la vie des rivières et de la nature autour de celles-ci. D'ailleurs si le sujet vous intéresse, je vous recommande vivement de lire Mississippi Solo d'Eddy L. Harris.

Les retours en arrière nombreux ne nuisent pas à la fluidité du récit, bien au contraire, ils sont nécessaires pour comprendre tous les aspects de l'histoire et pour mieux connaître chacun des personnages. Le fait qu'à chaque chapitre on change de personnage permet de voir les différents point de vue et de se rendre compte de ce qui les lie ou les sépare. Chacun a son idée, sa vérité sur la situation mais aucun n'est borné et tous évoluent au fil du récit.

Ce roman est plaisant pour son écriture, pour son action qui monte progressivement, la tension qui s'installe et pour sa description de la nature, des paysages autour de la Ferme qui donnent envie d'arpenter ces terres du Wisconsin. C'est une ode à la nature sauvage qui, même domptée un moment, finit toujours par reprendre le dessus. On peut d'ailleurs voir un parallèle entre cette nature et le destin de Rachel.