Les Chroniques de l'Imaginaire

Résilience (GandahaR - 33)

Pour son trente-troisième numéro, la revue GandahaR choisit de s'intéresser à un sujet d'actualité : la résilience. Autrement dit, comment l'humanité va-t-elle s'adapter aux conditions de plus en plus difficiles qui vont régner sur Terre dans les décennies, siècles, voire millénaires à venir, du fait même de son activité polluante et destructrice ? Quels changements radicaux seront nécessaire à sa survie ? Les onze textes réunis ici s'efforcent ainsi d'imaginer des avenirs possibles à l'espèce humaine.

Sans qu'autrices et auteurs se soient donnés le mot, plusieurs nouvelles partagent des idées communes : décentralisation politique, décroissance économique, respect de la nature, égalité des droits et des devoirs, partage des ressources, progrès de l'informatique et des intelligences artificielles… Ce n'est pas pour dire que leurs textes ne sont que des variations sur le même thème, car ces idées ne sont pas toujours le cœur de l'intrigue et ne servent parfois qu'à caractériser plus en profondeur le cadre du récit.

Ainsi, la technologie qui apparaît dans La morte à bicyclette de Jean-Louis Trudel, première nouvelle du numéro, constitue avant tout un moyen pour les gens d'ignorer la déliquescence de leur monde. C'est à travers le sacrifice d'une partie d'entre eux que les autres peuvent continuer à mener des vies dispendieuses et irresponsables. Dans Illuyanka, d'Éric Busch, le monde d'avant a été quasiment anéanti par un virus informatique dévastateur et les survivants ont reconstruit du mieux possible leurs vies autour d'un usage plus raisonné de la technologie.

Ailleurs, on trouvera dans plusieurs textes une intelligence artificielle surpuissante sur laquelle l'humanité se repose afin de corriger les erreurs du passé. Les résultats ne sont pas toujours ceux escomptés, de la transcendance organique/minéral qui sert de point d'orgue à GAIA de Cédric Teixeira, à la naissance inattendue d'une nouvelle divinité dans La solution Orenda d'Anthony Boulanger, en passant par l'ignorance volontaire des responsables politiques dans Le générateur d'Utopie d'Anne-Justine Jasinski. Aucun de ces textes ne sombre dans un optimisme béat consistant à croire que les progrès techniques suffiront à résoudre tous les problèmes, sans pour autant se vautrer dans un désespoir nihiliste.

Plusieurs nouvelles s'attachent à dépeindre les sociétés nouvelles issues de la nôtre. Pour nos vertes prairies, de Morgane Gillard, prend place dans un Groenland qui mérite plus que jamais son nom de terre verte dans un futur où le réchauffement climatique fait rage. Ses habitants sont bien décidés à préserver coûte que coûte ce nouveau paradis. Dans Les exilés, Anna Baron imagine que les Terriens les plus riches se sont exilés sur Titan, la lune de Saturne, afin d'échapper à la crise climatique, pour y développer une société cauchemardesque, alors que celles et ceux qu'ils ont laissé sur leur planète d'origine parviennent à y accoucher d'un monde meilleur. Nérée, de Jérôme Ricaux, imagine des cités sous-marines dans des bulles complètement isolées du monde extérieur. Si la vie y est plus douce, l'éternelle insatisfaction de l'être humain l'empêche d'être une réelle utopie.

Certains textes proposent une approche plus intimiste de l'idée de résilience, en s'intéressant plus particulièrement à un individu ayant survécu à l'effondrement de notre société. Le protagoniste de Lillemer, de Nicolas Letellier, a survécu à la montée dévastatrice des eaux due au réchauffement climatique, sans pour autant échapper à la culpabilité du survivant, tandis que celui d'Illuyanka lutte aussi contre un profond sentiment de culpabilité.

Restent deux nouvelles un peu à part : Le meilleur des mondes, de Grégory Covin, avec sa solution aussi simple que condamnée à l'échec aux problèmes de notre monde, est un texte à chute d'une délicieuse cruauté, tandis que Philippe Caza propose avec Le lait de Gaïa d'imaginer ce que les dieux de la mythologie grecque penseraient de notre situation actuelle.

J'ai beaucoup apprécié la lecture de chacun de ces textes et je vous recommande chaudement de vous procurer ce numéro de GandahaR, même si le thème ne vous paraît pas intéressant à première vue.