Les Chroniques de l'Imaginaire

Octavia E. Butler : femme puissante (Bifrost - 108)

La rédaction de Bifrost a choisi, dans ce numéro 108, de mettre à l’honneur l’auteure Octavia E. Butler. Méconnue dans nos contrées, sa notoriété ne cesse de croître aux États-Unis mais aussi en France, au-delà même du cercle des fans de science-fiction. Publiée dans ce numéro à ne pas manquer, sa nouvelle Enfants de sang fut récompensée dans les années 1980 par les prix les plus prestigieux du genre (Hugo et Nebula). Malgré cette reconnaissance du milieu de la science-fiction, sa notoriété fut lente à arriver en France. Dans une interview de la fondatrice des éditions Au diable vauvert, qui furent parmi les premières à publier l’auteure, Marion Mazauric éclaire en quoi son œuvre qualifiée d’afrofuturiste fait aujourd’hui figure de littérature d’avant-garde, en évoquant les problématiques de racisme et de sexisme revenues sur le devant la scène.

Gan, le jeune narrateur, survit dans une réserve terrienne grâce à la protection de T’Gatoi, l’amie d’enfance de sa mère, Lien. Représentante du gouvernement tlic qui gère la Réserve, T’Gatoi est devenue le plus haut membre politique de son espèce en relation avec les Terriens. Tenue d’offrir un de ses enfants aux Tlics, comme l’exige la loi, Lien en a promis un à T’Gatoi. Xuan Hoa, la sœur aînée de Gan, aurait aimé être l’élue. Mais c’est Gan qui fut choisi, avec la bénédiction de sa mère. Dès sa naissance, T’Gatoi l’a nourri avec les œufs stériles des Tlics. Agissant comme une drogue anesthésiante qui altère la conscience, l’œuf a cette capacité de soulager la douleur, de guérir les blessures, de maintenir un bon état de santé et même de ralentir le processus de vieillissement. Gan se demande alors pourquoi sa mère, souffrante et vieillissante, s’obstine depuis plusieurs années à ne plus se nourrir de ces œufs, ou si rarement sur l’insistance de T’Gatoi.

La puissance maîtrisée de la plume d’Octavia E. Butler et son incontestable talent de portraitiste qui scrute la psychologie humaine l’amènent à explorer toute l’ambiguïté des relations entre extraterrestres et humains, basées sur le principe des parasites et de leurs hôtes. Pour survivre, les humains mâles ou femelles n’ont, en effet, d’autre choix que de servir de matrice aux Tlics, et qui plus est, de manière plutôt violente. Marqué à la fois par un rapport de domination et d’interdépendance, le duo T'Gatoi et Gan n’est pourtant pas exempt d’un amour mutuel, ce qui en fait une exception sur cette exoplanète. Car on pense inévitablement aux thèmes de l’esclavage et de la colonisation mais aussi, métaphoriquement, à celui du viol et par extension du patriarcat. Ce qui captive dans l’écriture d’Octavia E. Butler, c’est le regard qu'elle porte sur le rapport à l’altérité : « Je ne sais pas ce que vous êtes. Je ne sais pas ce que nous sommes pour vous », s’interroge Gan. Un récit puissant et une auteure à lire absolument.