Les Chroniques de l'Imaginaire

La cité des permutants - Egan, Greg

Au milieu du vingt-et-unième siècle, l'informatique a accompli des bonds de géant. La puissance de calcul disponible est plus importante que jamais et les individus qui en ont les moyens peuvent s'offrir le luxe d'une Copie. Une Copie, c'est un instantané de leur conscience intégré dans une réalité virtuelle, où ces personnes pourront continuer à vivre comme bon leur semble même si leur enveloppe charnelle disparaît. Une telle immortalité numérique conviendrait à la plupart des gens, mais Paul Durham est persuadé qu'il est possible d'aller plus loin. De développer un univers virtuel indépendant de tout support physique et susceptible de perdurer à l'infini, même après la fin de l'Univers…

Ce qui m'a le plus étonné avec La cité des permutants, c'est sa date de sortie : 1994 ! Près de trente ans plus tard, les idées de Greg Egan et la manière dont il les traite n'ont pas pris une ride et il se permet même d'anticiper le développement de certains concepts actuels, comme l'informatique en nuage ou la commercialisation de la puissance de calcul.

En nous faisant suivre les tribulations de Paul Durham et de ses Copies, il s'interroge sur les problèmes éthiques et philosophiques que poserait le transfert d'un esprit humain dans un ordinateur, ainsi que les conséquences psychologiques d'une telle situation. Le projet fou de Durham repose sur une « théorie de la poussière » qui nous entraîne dans les derniers retranchements de la logique et de la physique quantique.

À travers le personnage de Maria Deluca, une programmeuse surdouée dont les travaux aboutissent à l'émergence d'une civilisation intelligente, on retrouve un thème courant de la science-fiction, celui de l'Homme qui se prend pour Dieu. Et, comme souvent (spoiler !), cet hybris finit par causer sa perte… mais Egan reste un auteur de hard SF et les conséquences ne sont jamais simplement dramatiques, mais toujours parfaitement logiques et scientifiquement inattaquables.

Les concepts scientifiques qui soutiennent La cité des permutants ne sont pas forcément très accessibles pour le commun des mortels, mais ils font l'objet d'explications fréquentes et aussi claires qu'on peut l'espérer, souvent placées dans la bouche de Paul Durham. C'est sans doute le plus gros reproche qu'on puisse faire au livre : ses personnages servent avant tout à présenter des théories. Leur développement personnel n'est pas au cœur du récit et l'intrigue est dans l'ensemble réduite à la portion congrue.

Rigueur scientifique et imagination débordante ne font pas forcément mauvais ménage et ce roman en constitue une belle preuve. S'il faut parfois s'accrocher pour assimiler les idées présentées par Greg Egan, le jeu en vaut la chandelle.