"Il lui semblait qu'elle n'avait rien désiré d'autre, en choisissant cette vie bizarre que sa famille ne comprenait pas". Elle, c'est Maud, la protagoniste du dernier roman de Jean-Christophe Rufin. A tour de rôle, avec Lionel et Vauthier, elle conduit le premier camion derrière lequel s'engouffre un second véhicule, destination la Croatie. Derrière le trio de tête, Alex le taciturne aux allures viriles et Marc sont deux anciens casques bleus déployés en Bosnie. Quant à Vauthier, tout le monde s’en méfie : un peu trop curieux, il est soupçonné de fouiller dans les affaires de ses acolytes. Aucun d’eux ne se connaissait avant le départ, excepté Maud et Lionel qui avaient travaillé ensemble quelques mois.
Au sein de ce groupe hétéroclite, l’ambiance est tendue et la jeune Maud, qui n’avait plus grandi depuis ses treize ans, a eu fort à faire pour s’imposer dans ce cercle masculin. Déterminée, elle l’est assurément pour oser s’aventurer dans une zone de guerre. Mission officielle : livrer des vivres, des vêtements et des médicaments aux réfugiés, sous l’égide de la FORPRONU. "Jusque-là, ils avaient traversé des frontières, c’est-à-dire des limites officielles entre États. Les check-points, c’était autre chose : des séparations imprévisibles et mouvantes entre zones ethniques, obéissant à l’autorité de petits chefs locaux".
Sur le chemin parcouru depuis la France, le quintette apprend enfin à se connaître après le premier check-point passé. A l’évidence, cette première épreuve vécue en commun aide à dépasser les différences. Marc, l’ex-casque bleu, a une vision réelle du terrain et des personnes à secourir. Maud, plus idéaliste, ne connaît de l’humanitaire que les discours abstraits de son association qui tournaient autour de la géopolitique et des enjeux stratégiques.
Dans cette réédition collector de Check-point, Jean-Christophe Rufin nous donne à voir un milieu qu’il connaît bien pour avoir notamment intégré l’ONG Médecins sans frontières et participé à une mission en Bosnie-Herzégovine. Il nous montre que, dans le secteur humanitaire, chacun peut avoir des motivations très différentes et pas toujours des plus altruistes. Et que dans cet univers extrême des check-points, où "la frontière est partout" - géographique ou mentale -, tout peut basculer d’un moment à l’autre : les rapports humains comme les convictions personnelles les plus ancrées.
