Les Chroniques de l'Imaginaire

Le voyage sur les mers du prince Takaoka - Shibusawa, Tatsuhiko

Nous sommes en l'an 865 de notre ère. Le prince Takaoka, fils de l'empereur déposé du Japon, se trouve dans le port de Canton, en Chine, où il se prépare à embarquer pour un grand voyage. Depuis son enfance, il ne rêve que d'une chose : se rendre aux Indes. Ayant dû renoncer à la succession après l'abdication de son père, il s'est fait moine bouddhiste et l'idée de voir de ses yeux le pays du Bouddha lui sourit. Il prend donc la mer, malgré ses soixante-sept ans, accompagné de deux bonzes, Anten et Enkaku, bientôt rejoints par un jeune fugueur que le prince décide de rebaptiser Akimaru.

Au fil d'un long périple dans les mers du Sud, cette petite compagnie va rencontrer toutes sortes de créatures fantastiques et de sociétés étranges. Entre rêve et réalité, les circonstances conspirent pour éloigner le prince de son objectif et l'ombre de la mort plane sur son trajet. Verra-t-il les Indes avant que son âge ne le rattrape ?

Le voyage sur les mers du prince Takaoka est un étrange petit livre. Par certains aspects, il évoque irrésistiblement les récits de voyage des commerçants des explorateurs médiévaux, les Jean de Mandeville et autres Marco Polo, dans lesquels des pays fabuleux peuplés d'impossibles chimères côtoient des villes et royaumes ayant authentiquement existé. Les passages d'ordre historique et politique qui ouvrent chaque partie du récit, dans lesquels le narrateur nous prend parfois à partie, sont parfaitement exacts pour autant que je puisse en juger.

Néanmoins, Tatsuhiko Shibusawa ne se contente pas de produire un récit de voyage « à la manière de… ». C'est un écrivain du vingtième siècle et il adopte donc une approche résolument moderniste, avec une bonne dose d'humour. Ses personnages n'hésitent pas à lâcher des anachronismes aussi assumés que drôlatiques. Le prince Takaoka vit dans une réalité nettement moins ancrée que la nôtre, où le rêve le dispute constamment au réel et le passé au présent. Il se laisse souvent porter par les événements, avec des conséquences tour à tour désopilantes et tragiques.

Dans l'ensemble, ce roman constitue une petite lecture fort plaisante, avec quelques passages propres à frapper l'imagination, comme la quête des hommes-miel. Mon seul bémol serait la présence de quelques scènes pédophiles et zoophiles décrites un peu trop amoureusement à mon goût par l'auteur (pas si étonnant quand on sait qu'il a traduit en japonais le marquis de Sade, entre autres).