Haïgaz et Agop sont deux amis inséparables, ils ont survécu ensemble au génocide arménien en Turquie, ils vivent à présent l'un à côté de l'autre en France à Meudon. Ils se sont mariés à deux sœurs, Araxie et Haïganouch. Haïgaz est un homme sage prêt à tout pour sa famille et ses amis, quant à Agop c'est un impulsif qui s'emporte facilement et qui ne sait jamais quand il faut se taire. Alors quand Staline appelle la diaspora arménienne à revenir en URSS pour reconstruire une Arménie fière et indépendante, le sang d'Agop ne fait qu'un tour, il décide de retourner là-bas dans son pays en dépit des supplications d'Haïgaz. Mais méfiant, il y va seul sans Haïganouch et ses enfants. Avant d'embarquer sur le Rossia, Haïgaz lui demande de faire attention à son tempérament et d'essayer de retrouver Haïganouch la véritable sœur d'Araxie dont elle a été séparée lors de la marche de la mort.
Lors du voyage vers l'Arménie, Agop fait la connaissance de Zazou un jeune d'origine arménienne qui suit son oncle et sa tante, la seule famille qui lui reste. Ces deux là vont se lier d'amitié et ne plus se lâcher, d'autant plus qu'à Erevan ce n'est pas le bonheur attendu mais plutôt la froide réalité soviétique qui broie les hommes, les esprits et surtout tout espoir de revenir en France. Son caractère ne l'aidant pas, Agop finit par être déporté avec les milliers d'Arméniens revenus au pays vers la Sibérie. Avant d'être déporté, Agop a entendu qu'une célèbre poétesse répondant au nom d'Haïganouch a disparu laissant derrière elle des poèmes symbolisant l'âme arménienne et qui se transmettent en secret. Agop ne se doute pas qu'il s'agit de la sœur d'Araxie et que leurs destins vont se croiser pendant des années car Haïganouch se cache en Sibérie pour échapper à la vindicte du bras droit de Beria, chef du NKVD.
C'est leurs terribles destinées que nous suivons au fil des pages, les souffrances endurées, les espoirs déçus. Ian Manook raconte l'incroyable destinée du meilleur ami de son grand-père et celle de la petite sœur de sa grand-mère. On y retrouve l'absurdité du régime soviétique, la terreur que subissent les habitants qui tentent de se faire le plus discret possible pour éviter la déportation ou la mort pour une mauvaise parole. On a tout entendu sur l'URSS de Staline, on connaît sa folie sanguinaire, le régime de terreur qu'il a imposé mais c'est encore autre chose de lire ce qu'ont vécu les personnages principaux de ce livre, de voir ce qu'ils ont subi comme des milliers d'autres. Là c'est concret et effarant, des hommes tuent sans réfléchir pour ne pas être tués eux-mêmes, des gens en dénoncent d'autres pour obtenir un petit avantage en nature, et chacun fait tout son possible non pas pour vivre mais pour survivre.
C'est une belle saga familiale que nous livre Ian Manook, des personnages forts et hauts en couleur, des espérances déçues, des destins qui se croisent, des aventures terrifiantes, et la ténacité des personnages qui ne lâchent rien face à la barbarie. On se révolte avec Agop, on s'émeut du sort d'Haïganouch car nous sommes emportés par leur histoire. Tous les personnages sont attachants et lors de cette lecture, j'ai eu envie de me retrouver au milieu des réunions familiales car cela me rappelait quelques souvenirs d'enfance, ces fêtes pleines de bruit, de joie, de danses en dépit des absents.
On ne peut être que bouleversé par ce livre, par cette folie, ces souffrances endurées, mais aussi par l'espoir auquel s'accrochent les personnages jusqu'au bout. Après cette lecture, je n'ai pas pu m'empêcher d'acheter L'oiseau bleu d'Erzeroum qui raconte la tragique destinée d'Araxie et Haïganouch lors du génocide arménien.
Ce roman est un bel hommage à la mémoire d'un peuple, à sa solidarité mais surtout à sa résistance face à l'horreur. Je connaissais Ian Manook pour sa série Yeruldelgger que j'avais fortement appréciée, j'ai découvert une autre facette de son talent.