Les Chroniques de l'Imaginaire

Spartacus - Mitchell, James Leslie

Cent ans avant Jésus Christ, Kléon, un esclave eunuque, apprend le soulèvement des esclaves à Capoue avec à sa tête le gladiateur Spartacus. Après avoir égorgé son maître, il rejoint les hordes d'esclaves qui battent la campagne car Kléon n'est pas n'importe qui. Il a été vendu par son père, a servi d'objet sexuel à un marchand, s'est échappé et est devenu un capitaine pirate redouté. Puis il fut capturé lors d'un raid, acheté par son dernier maître et émasculé. Alors Kléon n'a plus rien à perdre ; rejoint par Brennus le Gaulois et Titul qui dit venir de l'Atlantide, ils vont rallier les légions d'esclaves de Spartacus. Le guerrier thrace avec ses gladiateurs a vaincu jusqu'à présent toutes les troupes de légionnaires envoyées pour les exterminer. Kléon découvre un homme taciturne, plein de rage et habité par une volonté sans faille de tailler en pièces ses ennemis. Car ce n'est plus une révolte qu'il mène à présent mais une guerre contre les maîtres, contre les oppresseurs et contre l'Empire romain. Au fil des ses échanges avec le Thrace, des batailles qui s'ensuivent, Kléon tente d'influencer Spartacus, de lui donner un idéal, un but à cette guerre car au fond de lui, il sait que la mort les attend au bout.

C'est cette quête que nous suivons dans ce roman, cette course poursuite entre ces troupes d'hommes libres et les légions romaines de plus en plus nombreuses qui les poursuivent car c'est la survie de Rome qui se joue à présent.

Ne vous fiez pas à la couverture de ce roman, très belle mais qui fait penser à un roman jeunesse ou de fantasy, car c'est un récit plutôt classique qui a été écrit par James Leslie Mitchell en 1933. L'auteur est considéré comme l'un des plus grands écrivains écossais, c'était un anarchiste, un révolté mort à trente-quatre ans deux ans après la sortie de son livre. Après la lecture, on comprend que c'est une partie de lui qu'il transmet à chacun de ses personnages ; quant à la cause qu'ils défendent, outre leur liberté, c'est bien la fin de l'exploitation des plus pauvres par les plus riches qu'il combat depuis toujours. L’histoire de Spartacus ne pouvait que lui parler, et il s'est appliqué au travers de ses personnages à défendre ses convictions en faisant de ses revendications les leurs.

Dans ce roman, l'auteur ne s'attache pas qu'à Spartacus mais aussi à d'autres personnages, qui représentent la multitude d'origine des esclaves de Rome. J’ai beaucoup aimé Gershon ben Sanballat, le noble juif qui, bien que souvent en désaccord avec Spartacus sur les buts de la révolte, lui restera fidèle jusqu'au bout. Titul dans son étrangeté m'a amusé et Brennus m'a ému alors que Kléon m'a fait passer par tous les sentiments. Bien évidemment Spartacus est intéressant, au début du récit il est plutôt sombre et n'a pas vraiment de but à part celui de survivre. Puis au fil du récit, le personnage s'étoffe, se donne une conscience politique, un idéal à poursuivre et se révèle bien plus fin qu'il n'en a l'air. Car en plus d'être un grand guerrier c'est aussi un redoutable stratège qui a su vaincre pendant deux ans les légions romaines et faire trembler l'Empire. On sent peser sur ses épaules le fardeau de cette révolte et l'on sent qu'il s'attache à tenter de préserver l'espoir de ceux qui le suivent et l'on pressent qu'il finit même par croire à une issue positive à cette guerre.

Les batailles sont sanglantes, les héros sans pitié, et la barbarie de l'époque nous est bien rendue sans aucun filtre. Mitchell n'a pas tenté d'idéaliser et de sacraliser Spartacus et ses lieutenants Gannicus et Crixus, car ce sont avant tout des guerriers, des gladiateurs mais surtout des tueurs. Historiquement parlant, cela semble assez proche de ce que l'on sait et nous restitue bien la lutte à mort entre Rome et ces esclaves qui se sont libérés de leurs chaînes.

Le récit est épique, sans temps mort, et l'on se prend même à croire en la réussite de cette révolte alors que l'on en connaît la triste fin. En plus d'être un roman sur les exploits guerriers d'une troupe hétéroclite d'anciens esclaves, James Leslie Mitchell parsème son histoire de réflexions sur la condition humaine et sur la domination de certains sur tous les autres. Alors que l'on s'attend à une écriture un peu datée, bien au contraire c'est très moderne et ne laisse aucunement croire que ce livre a été écrit il y a presque cent ans. Au travers de l'épopée de Spartacus, c'est un cri de révolte que lance l'auteur sur les conditions de vie des plus pauvres de ses concitoyens.

C'est une belle découverte qui me donne envie de me plonger dans les autres œuvres de l'auteur. C'est quand même dommage d'avoir dû attendre 2022 pour découvrir la traduction et la publication de cet ouvrage en France. Merci donc à Frédéric Collemare et Callidor de nous faire découvrir cet auteur.