Les Chroniques de l'Imaginaire

La collectionneuse de mots oubliés - Williams, Pip

Esme est encore toute petite quand elle se brûle la main en tentant de sauver un des mots que son père vient de jeter dans l’âtre. Elle gardera toute sa vie une « drôle de main », mais ce n’est pas ce léger handicap physique qui va la définir ou l’empêcher de vivre et de grandir.

Elle grandit en effet aux côtés de son père dans le scriptorium du Dr Murray. Le Dr Murray a entamé la tâche titanesque de rédiger le premier dictionnaire d’Oxford et Da, le père d’Esme, l’aide dans cette tâche en tant que lexicographe. Très vite, l’enfant ne quitte plus le scriptorium où elle découvre un monde de mots qui la fascinent.

Outre son père, Lizzie s’occupe d’elle. Lizzie est la servante des Murray et, bien qu’elle n’ait que quelques années de plus que l’enfant, elle la prend sous son aile. Lizzie remplace en effet un peu de la mère qu’Esme n’a plus. Quand Esme découvre que le mot « bonne à tout faire » (bondmaid en anglais) n’est pas dans le dictionnaire, elle s’en émeut profondément.

En grandissant, elle va découvrir que d’autres mots sont absents du dictionnaire, et pire encore, que les hommes qui s’occupent dudit dictionnaire ne voient pas l’utilité de les rajouter. Esme va alors colliger elle-même les mots refusés dans ce qu’elle va appeler Le dictionnaire des mots oubliés.

Difficile de résumer un roman à la fois aussi dense mais aussi profond dans bien des sens. En effet, on découvre l’histoire de la rédaction du dictionnaire d’Oxford, basée sur des faits réels, qui a été écrite à la suite des recherches de l’autrice sur le dictionnaire, mais aussi l’histoire d'Esme qui, grâce à Lizzie, puis à Tilda une actrice qui deviendra suffragette, va se rendre compte que le vocabulaire et les définitions du dictionnaire sont centrés quasi uniquement sur la vision des homme et jamais celle des femmes.

Cette injustice va la pousser à collectionner ses propres mots, tout d’abord pour elle, pour qu’ils ne soient pas complétement oubliés, mais aussi pour mettre en avant les femmes qui auront prononcé ces mots. Des femmes du peuple, peu ou pas éduquées, et dont la parole à l’époque n’avait pas grande importance. Esme, à son échelle, va leur donner une légitimité et une certaine fierté d’être dans un dictionnaire, même si celui-ci n’a pas vocation à être publié.

J’avoue que j’ai eu un gros coup de cœur pour cette histoire. Tout d’abord parce que j’aime les mots et les dictionnaires, mais aussi parce que les personnages du roman m’ont beaucoup touchée. Esme, bien évidemment, mais aussi Lizzie qui reste fidèle en amitié à Esme, et toujours là pour l’aider, surtout quand la jeune fille touche le fond après avoir confié à un couple d’amis le bébé qu’elle a eu avec le frère de Tilda. Et Gareth, celui qui aime Esme pendant longtemps avant qu’ils ne se marient alors qu’il va partir à la guerre.

C’est vraiment un excellent roman qui parle de mots, mais aussi de sentiments, d’injustice, de morts, de combats sociaux mais aussi d’amour, d’espoir et des batailles que les femmes ont menées pour que leurs voix se fassent entendre. Comme le dit le courrier qui accompagnait ce service presse, c’est un roman résolument féministe qui rend hommage à la longue lutte des femmes pour la reconnaissance de l’égalité des sexes.

C’est un livre à lire et surtout à offrir afin que ce combat pour que les mots ne soient pas oubliés n’ait pas été vain.