Tout commence un jour de juillet 1966, lorsque Alain Dister, vingt-cinq ans, embarque pour New-York. Dans sa tête de jeune homme, une soif de vivre et d'expérimenter que son quotidien en France ne parvient pas à assouvir. Il a envie d'aller à la rencontre du rêve américain et de la contre-culture qui lui promet les jours et les nuits qui correspondent à ses désirs. "Décrocher d'une existence programmée pour se lancer dans une grande aventure. Le voyage. Tout deviendrait alors possible. Et l'on irait refaire le monde à l'image de nos rêves."
Parti avec son sac à dos et son appareil photo, le voilà lancé dans les métropoles des États-Unis. D'abord New York, puis rapidement Los Angeles. Là, il se fond dans le décor, allant à la rencontre de groupes de musique, de hippies, de toute cette grande communauté qui forme celle avec qui il se sent en phase. Les Américains qui cherchent à vivre chaque jour en suivant leur "beat" et non celui de l'Amérique au mieux routinière, au pire puritaine et moralisatrice. Les gens qu'il rencontre se sentent libres de faire leur musique, de s'habiller comme ils veulent, d'aimer qui ils veulent, quand ils veulent, de s'évader un peu plus avec des drogues de tous calibres... Ils sont fauchés et s'en fichent, le bonheur est ailleurs.
Les textes d'Alain Dister, souvent composés à la manière d'un journal, sont à eux seuls une source précieuse d'informations pour rendre compte de ce qu'était la contre-culture américaine dans toute sa dimension. Il porte un enthousiasme contagieux, à la manière d'un enfant émerveillé au pays des jouets. Il est exactement là où il rêvait d'être. Même les temps difficiles, quand il n'a plus le moindre sou en poche, ne parviennent pas à entamer son ardeur. Il a de plus la chance de fréquenter de grandes stars du rock, dont l'immense Jimi Hendrix, qu'il accueillera plus tard à Paris.
Les photos d'Alain Dister sont évidemment le premier point de rencontre entre l'auteur de ces textes et le lecteur. Au fil des pages, c'est tout un pan d'une Amérique révolue qui ressuscite sous nos yeux. La contre-culture se déploie avec ses hippies, ses quartiers populaires, ses coupes de cheveux d'une autre époque, ses groupes de musique et ses scènes en plein air et aussi ses messages de paix à un moment de l'histoire où la guerre du Vietnam est dans toutes les têtes. Des photos en couleur, en noir et blanc, nettes ou floutées dans les salles de concert, saisissant le plus généralement des instantanés de la vie quotidienne.
Pour qui aime ou est attiré par cette époque et cet esprit nomade et libre de la contre-culture américaine, cette rétrospective du travail d'Alain Dister proposée par Alexandra Tenenbaum est remarquable. Les photographies nous plongent d'emblée dans l'ambiance. Les textes, rassemblés d'après plusieurs ouvrages, approfondissent largement ce que les images laissent voir. La lecture est immersive et passionnante et c'est avec plaisir que nous suivons les aventures du photographe au fil des années, à l'Ouest, à l'Est ou dans les grands espaces.
L'album s'achève au début des années 2000 et, même si on ne parle plus de hippies, Alain Dister continue de s'intéresser aux marginaux et à tous ceux qui portent en eux le goût de l'aventure, de la liberté de ne pas faire comme les autres et d'être soi. Les années ont passé mais l'état d'esprit n'a pas changé.
Préfacé par François Busnel et présenté par Marie Hélène Fraïssé, deux passionnés des États-Unis, En Amérique rend un bel hommage à Alain Dister, disparu en 2008. Les textes et les images se répondent à merveille pour offrir un voyage dépaysant, émouvant et authentique de la société américaine, que le photographe avait su saisir avec talent et sincérité.