Août 1944, près de Saint-Brieuc, Louis Guilloux est interprète à la mairie de sa ville auprès des troupes américaines. Les combats continuent autour mais les libérateurs avancent inexorablement et leur présence se fait de plus en plus ressentir. Un jour, deux officiers américains et leur chauffeur viennent trouver Louis pour lui demander de leur servir d'interprète dans une enquête où un soldat américain a tué un fermier du coin. Satisfaits de ses services, Louis, à leur demande, est détaché auprès de l'armée américaine comme interprète officiel pour les prochaines enquêtes. Celles-ci sont toujours rondement menées, dans le strict respect du droit militaire et à chaque fois les soldats, toujours des noirs, sont condamnés sévèrement et la plupart du temps exécutés. Louis se plaît à rencontrer ces soldats venus d'Amérique, à converser avec eux, ils sont tous tellement sympathiques, si gentils avec les Français. Mais petit à petit, Louis Guilloux au travers de ses échanges, se rend compte que ces soldats blancs ont un discours ambigu vis-à-vis des noirs de leur pays. Il entend venant d'officiers pourtant cultivés, des préjugés sur les noirs et des relents de racisme parfois. Il ne semble pas y prêter plus d'attention que ça jusqu'au jour où il participe à l'enquête sur le meurtre d'un résistant par un officier américain, mais blanc cette fois.
O.K. Joe est la phrase que prononce à chaque fois l'un des officiers lorsqu'ils sont tous montés dans la jeep, à l'attention du chauffeur. Cette phrase revient souvent, car Joe trimballe les officiers et Louis sur chaque affaire et il y en a des enquêtes pendant cette période incertaine de libération de la Bretagne. Des agressions, des viols, des meurtres où à chaque fois un soldat américain est impliqué. Un soldat presque toujours noir. Cette histoire vraie, qu'a vécue Louis Guilloux, l'a marqué et il a mis des décennies avant de l'écrire ; il a pris son temps pour revenir sur les faits qui se sont passés à cette époque. On dirait que l'auteur a eu du mal à accepter que des hommes qui sont venus nous libérer, qui étaient si gentils avec la population, qui ont sacrifié leur vie, aient pu être des gens racistes.
De ce livre il ressort que pour l'auteur cela semble impossible que ces hommes aient pu condamner lourdement leurs soldats juste parce qu'ils étaient noirs. Et pourtant, les propos tenus sur les noirs en général auraient du lui mettre la puce à l'oreille mais cela n'a pas semblé être le cas. Il aura fallu le cas du soldat blanc tueur pour qu'enfin il se réveille et commence à se poser des questions sur le racisme latent des soldats blancs américains qu'il côtoie.
Je suis ressorti de cette lecture quelque peu gêné devant tant de naïveté ou d'aveuglement concernant les soldats venus libérer la France. On dirait que l'auteur n'a pas voulu voir les choses, qu'il s'est efforcé de ne pas en tenir compte comme si on devait tout pardonner à nos libérateurs. Pour ne pas avoir vécu cette période d'occupation, puis la libération et pour éviter de juger cela avec la mentalité de notre époque plus de soixante ans après les faits je ne peux que m'interroger sur les raisons de cet aveuglement et sur le temps écoulé pour écrire cette histoire. J'avoue avoir du mal à comprendre tout cela car je n'ai ressenti aucune inquiétude de l'auteur ni révolte devant les événements.
Je retiendrai de ce roman la description de l'atmosphère de la France juste après le débarquement et les combats qui ont suivi en Bretagne. On ressent cette joie de ne plus être sous le joug des Allemands mais aussi la tension et l'incertitude car des combats ont encore lieu tout près. On y découvre l'envers du décor de la libération, les difficultés de compréhension entre les Américains et la population locale. Les différences de mentalité sont flagrantes et, passée la joie de la libération, les premières incompréhensions et tensions se font jour. C'est une bonne peinture de cette période troublée, où des règlements de compte ont eu lieu en toute impunité, où les plus bas instincts ont pu se libérer. À la fin de cette lecture, je suis quand même resté avec un goût d'inachevé en me disant tout ça pour ça !