Dans un futur lointain où la Confédération Homo sapiens recouvre des milliers de mondes, Maitre Andrea Cort appartient au Corps diplomatique, qui essaie de maintenir l'équilibre inter-espèces. Le mot "appartient" est ici à prendre au sens littéral, car Andrea a un statut juridique un peu particulier. Convaincue de crimes de guerre alors qu'elle n'avait que huit ans, elle a perdu sa liberté et est engagée par le Corps diplomatique à vie, profitant de l'immunité diplomatique en échange de ses services.
Son port d'attache est le monde-cylindre de La Nouvelle-Londres, le siège du Corps diplomatique, mais ses missions de Représentante du Procureur Général l'amènent à visiter de nombreux mondes peuplés d'extraterrestres divers. Son passé et la réputation qu'il lui a valu ont fait d'elle une femme froide et rébarbative, antisociale. Elle prend néanmoins très à coeur son travail, dans lequel sa sagacité fait merveille. Peu lui importe de plaire...
Ce premier livre de la trilogie regroupe les premières missions d'Andrea. Elles sont présentées par ordre chronologique plutôt que par ordre d'écriture, permettant de mieux apprécier l'évolution psychologique de la jeune femme.
Avec du sang sur les mains (nouvelle)
Andrea entame sa carrière au sein du Corps diplomatique, n'ayant alors accompli qu'une poignée de missions en solo. Elle est chargée d'entériner un accord conclu avec les Zinns, une civilisation très avancée mais déclinante. Ceux-ci veulent troquer des technologies de pointe contre un meurtrier homsap, pour l'étudier dans l'espoir de comprendre comment on peut faire du mal intentionnellement : ce peuple pacifique a les conflits en aversion. Les négociations sont terminées, ne reste qu'à valider l'accord. Pour Andrea, cet échange pue l'entourloupe !
La première nouvelle entre tout de suite dans le vif du sujet, nous faisant découvrir une Andrea qui n'aime pas le contact avec les autres humains et n'a aucun ami, une écorchée vive marquée par son passé sanglant. Elle est encore inexpérimentée, mais va faire preuve d'une clairvoyance bienvenue.
Une défense infaillible (nouvelle)
Alors qu'elle essayait d'identifier un traître au sein du Corps diplomatique, Tasha a été découverte. Pour assurer sa survie, elle a dû se mettre hors-service : elle s'est artificiellement enfermée dans son propre esprit. Pour la sauver, il faut urgemment découvrir son mot de passe. Un seul indice pour relever ce défi : l'holo de son "amie" Andrea qui surnage dans son esprit.
On peut ici apprécier les relations d'Andrea tant avec sa hiérarchie que ses collègues, et on peut dire qu'elle ne fait pas dans la dentelle. Elle va pourtant une fois encore se révéler redoutablement efficace.
Les lâches n'ont pas de secret (nouvelle)
Andrea est envoyée sur Caithiriin pour explorer les derniers recours juridiques d'un meurtrier. Soumis au droit local, il doit être mis à mort d'une manière particulièrement douloureuse. Les Caiths disposent cependant d'une solution de secours pour les lâches, rarement utilisée : un dispositif implanté dans le cerveau qui les empêche de mal agir.
Beaucoup de tension dans ce récit, où Andrea va être confrontée une nouvelle fois à un problème épineux mais va également se retrouver personnellement dans une situation fort inconfortable.
Ces trois textes ont une caractéristique commune : l'auteur respecte bien le rythme attendu dans une nouvelle, avec des éléments apportés au fur et à mesure pour un rebondissement final percutant. Il n'y a pas de temps mort et on se prend facilement au jeu.
Démons invisibles (novella)
Un homsap a été surpris à découper en morceaux des extraterrestres. Selon les règles diplomatiques, il doit être jugé localement par le peuple auquel appartenaient les victimes. Le hic, c'est que personne n'a jamais réussi à communiquer avec les Catharkiens, qui sont totalement indifférents aux autres espèces qui gravitent autour d'eux.
Cette aventure est en fait la première écrite par l'auteur autour du personnage d'Andrea Cort. Perturbée par son passé qui ne la lâche pas, maladroite et cassante dans ses relations avec les autres sentients - qu'ils soient humains ou non -, elle n'en résout pas moins brillamment la situation à priori inextricable.
Émissaires des morts (roman)
Prix Philip K. Dick 2009
Un Un Un : drôle de nom pour un drôle d'endroit. Un habitat artificiel, dont le ciel est couvert d'arbres où s'accrochent les Brachiens, une espèce sentiente, et où la moindre chute vous condamne à disparaître dans une couche de nuages toxiques. Un monde où tout, sentients compris, est la création des IAs-source, des intelligences surpuissantes qui jouent ici aux démiurges. Dans les Frondaisons sont également accrochés quelques hamacs : une poignée d'homsaps du Corps diplomatique a obtenu l'autorisation d'étudier les Brachiens dans leur curieux environnement, pour lequel ils sont parfaitement adaptés mais totalement inhospitalier pour les humains.
C'est dans ce contexte que des meurtres ont été commis sur deux membres de l'équipe humaine. Tout accuse les IAs-source, mais impossible de les mettre en cause officiellement sans créer un grave incident diplomatique. Andrea est envoyée sur les lieux pour enquêter. Ses supérieurs espèrent la voir trouver un coupable "acceptable" mais elle-même ne se satisfera que de la vérité !
Plus de nouvelle ici mais un roman, dans lequel l'auteur a tout le temps nécessaire pour développer son intrigue. Andrea va devoir découvrir ce qui se passe réellement sur la station, son enquête se compliquant de multiples mystères en lien ou non avec sa mission. Ayant peu de goût pour les romans policiers, j'ai un peu moins apprécié le roman que les textes précédents, alors même que je ne suis généralement pas friande de nouvelles. Je l'ai néanmoins lu avec intérêt et diligence, désirant ardemment voir assembler toutes les pièces du puzzle qui nous était fournies. C'est très bien pensé, avec une foule d'éléments imbriqués, qui font intervenir intelligemment l'aspect science-fictif du récit, tant le côté exotique du décor que les spécificités des autres sentiences.
J'avais lu par ailleurs qu'Andrea Cort était une sorte de Sherlock Holmes du futur. Certes, elle en a les capacités de déduction, mais c'est très réducteur car les affaires qu'elle traite impliquent de sa part bien plus de réflexion sur de grands sujets de fond : la liberté et la propriété, le libre-arbitre, la différence... Andrea se voit comme un monstre, isolée du reste de l'humanité, mais elle n'en est pas moins une personne que l'on prend grand plaisir à suivre, intègre et bien droite dans ses bottes, à l'esprit brillant, prête à aller jusqu'au bout pour remporter les combats qu'elle mène.
Le style est efficace, le personnage intéressant, l'univers dans lequel elle évolue passionnant et les situations auxquelles elle est confrontée fort bien trouvées. C'est donc une totale réussite.
Je pourrais mentionner comme bémol les redites concernant le passé d'Andrea, puisque le détail des sombres événements de son enfance est mentionné dans plusieurs des textes. Difficile cependant de faire autrement, puisque ces textes ont été écrits pour pouvoir être lus indépendamment et que cet épisode est fondateur pour la personnalité d'Andrea.
C'est une chouette découverte, que je conseille à tous ceux qui aiment les personnages originaux, la SF et les énigmes.