En 1937, Nikolaas est un étudiant sud-africain à Oxford. Studieux et taiseux, il ne se lie que peu avec ses camarades. Pourtant, Robert lui propose de venir passer l'été chez lui, dans la campagne anglaise, auprès de ses parents et de sa sœur, Prudence. Prudence qu'il a l'occasion de revoir dans les années 70, alors qu'il est devenu un universitaire de renom dans son pays et qu'il est de passage à Londres. Lui parler après des décennies ravive les souvenirs de cet été, qu'il se remémore longuement...
Le jardin céleste est ainsi le récit d'un été anglais de 1937, une époque à la fois proche et lointaine. Dans la demeure de la famille aristocrate des Chalmers, on assiste avec intérêt mais aussi avec un certain détachement aux secousses continentales. Le nazisme d'Hitler gagne du terrain et le sort de Bilbao reste incertain. Seule Prudence, la plus jeune, réagit avec violence, s'insurgeant qu'on puisse être plus préoccupé par les mondanités que par les orphelins basques.
Nikolaas n'appartient pas à ce monde, ni par le rang ni par la nationalité, et assiste en spectateur aux débuts de la déliquescence du monde d'hier comme l'appelait Stefan Zweig. Karel Schoeman, par son entremise, dresse le portrait de la fin de l'aristocratie isolée dans ses habitudes et traditions. La voilà forcée de se remettre en question, de regarder l'horizon et de se pencher sur ces autres nations et humains qui existent alentours.
Cette époque désuète est fidèlement reproduite. On y trouve les parties de tennis sur la pelouse immense, soigneusement entretenue par les jardiniers, les thés de cinq heures avec scones et sandwichs, les représentations aux différents comités, les tenues élégantes pour le dîner, qui ne se prend pas dans la salle du petit-déjeuner... L'atmosphère est si délicieusement cosy et anglaise que notre lecture se passe dans un flottement ouaté, paisible, uniquement troublé par les interruptions de Prudence qui rappelle la maisonnée à la réalité. Même Gerda, la jeune Allemande aristocrate venue passer quelques jours chez les Chalmers, reste discrète sur le sujet, bien qu'elle et sa famille honnissent Hitler et qu'ils aient quitté leur pays pour un temps.
Ce beau roman nous transporte dans un univers révolu, avec une douce mélancolie mais sans nostalgie, ni jugement. L'auteur apporte au contraire un regard indulgent, même si on peut déceler de temps à un autre un esprit critique, sur une société en décalage avec le reste de ses concitoyens, et parfois même en décalage avec ses propres membres. Une société sur le déclin qu'il est agréable de retrouver par procuration, le temps d'un roman...