Lilith se souvient de qui elle était avant la guerre, de son mari et de son fils. Elle se souvient de ses différents Eveils, dans un lieu toujours identique, après des intervalles de temps qu'elle n'a pas de moyen de mesurer. Un jour, elle s'Eveille et il y a un être avec elle. Il se présente comme un Oankali, nommé Jdahya, et lui explique que c'est son peuple qui a embarqué autant d'humains que possible afin de les sauver des conséquences de la guerre fratricide dans laquelle ils s'étaient lancés. C'est lui qui lui fait quitter sa "cellule", mais rapidement il cesse de s'occuper d'elle, et c'est avec un autre qu'elle apprendra à parler leur langue.
Elle s'apprivoise peu à peu aux Oankali, mais elle déteste leurs projets et ce qu'ils attendent d'elle. En effet, elle comprend mal comment ils peuvent considérer les humains comme des partenaires commerciaux étant donné l'évidente disparité de statut et de ressources des deux espèces. Par ailleurs, ils l'ont choisie comme intermédiaire entre eux et ses congénères, et elle sait que cela va la mettre dans une position difficile, surtout étant donné sa propre ambiguïté en ce qui les concerne. Et en effet, les problèmes se poseront très vite avec les humains qu'elle Eveillera, qui pour la plupart refusent catégoriquement de croire qu'ils sont dans un vaisseau spatial, pour commencer.
Octavia Butler est une grande écrivaine noire américaine, morte en 2006, et malheureusement trop peu connue du lectorat français, qui pendant longtemps n'a eu que son puissant roman La parabole des talents à se mettre sous les yeux. Depuis quelques années, les éditeurs français tâchent de remédier à cette situation. Le présent roman est ainsi le premier tome d'une trilogie dont le titre global est totalement approprié. Il est en effet bien question ici d'une Genèse orchestrée par des extraterrestres, qui ont la ferme intention, et les capacités, de recréer quasi-totalement la race humaine avant de la ré-implanter sur sa planète d'origine.
On pourrait penser qu'il n'y a rien là de très original, mais on aurait tort, car loin des effets à grand spectacle, l'autrice insiste ici sur les rapports inter-personnels qui s'établissent entre humains et extraterrestres, et elle choisit de le faire sous l'angle de la sensualité, en rendant les humains séduisants pour les Oankali, et en donnant à ceux-ci la capacité d'intoxiquer les humains en les rendant accros aux sensations de plaisir qu'ils leur font éprouver. Ce faisant, elle explore le thème du consentement, et de ses limites. Bien sûr, étant donné l'absolue dépendance des humains par rapport à ceux qui sont autant leurs geôliers que leurs sauveteurs, elle fait réfléchir sur les rapports de soumission, mais aussi sur l'angoisse du métissage. Le fait qu'elle en profite pour nous faire réfléchir également sur les modes de fonctionnement qui sont actifs en permanence dans nos sociétés, notamment le fonctionnement hiérarchique du genre, est un trope de la SF, mais bien mis en scène ici.
Le roman est court, étant précédé d'une préface de Marion Mazauric, qui vise à donner quelques éléments sur l'autrice, et suivi d'une postface de Fania Noël, qui la replace dans le contexte du féminisme noir. Toutefois, si la fin appelle clairement une suite, l'histoire qu'il présente est complète au moins en ce qui concerne les rapports des personnages, et leur évolution. Pour ma part, j'attends la suite avec impatience et intérêt, car c'est une lecture très intéressante, si je l'ai par moment trouvé dérangeante étant donné les questions qu'elle soulève et met en scène.