Les Chroniques de l'Imaginaire

Serviteurs de la ville - Collectif

Dans un futur indéterminé, la croissance urbaine perpétuelle a donné naissance à la Ville. Fruit de l'union d'innombrables cités et autres métropoles, cette Ville de centaines de millions d'habitants est davantage que la somme de ses parties : elle est douée de conscience et d'une volonté propre. Cette volonté s'exprime par l'entremise des Serviteurs, une caste d'hommes et de femmes dont la vie se résume à exécuter les ordres que leur adresse la Ville. La seule vue de leur cape rouge suscite l'effroi et le respect chez quiconque la voit. Inutile de préciser que ce n'est pas une carrière de tout repos et que les différents quartiers de la Ville recèlent d'innombrables dangers susceptibles d'interrompre brutalement la carrière du meilleur des Serviteurs.

La Ville et ses Serviteurs sont inventés en 1975 par Michel Jeury et Katia Alexandre dans une nouvelle intitulée fort à propos Les Serviteurs de la Ville. Le premier décide très vite d'inviter d'autres auteurs et autrices de science-fiction français à écrire à leur tour des textes dans le même univers, dans l'idée de sortir une anthologie. Plusieurs répondent à l'appel, mais si leurs nouvelles sont publiées au compte-goutte dans la revue Fictions tout au long de la deuxième moitié des années 1970, le recueil prévu ne voit pas le jour, pour des raisons bien développées par Richard Comballot dans l'avant-propos du présent livre. Ce projet novateur d'univers partagé à la française ne connaît ainsi pas de postérité.

Aujourd'hui, les éditions Flatland ont décidé de le tirer de l'oubli, comme un hommage à Michel Jeury, décédé en 2015. Serviteurs de la Ville propose une sélection de neuf récits, en commençant bien entendu par le texte fondateur de 1975. Certains font partie de ceux parus dans les Seventies, quelques-uns sont inédits, mais aucun n'a été écrit spécialement pour ce recueil : il s'agit d'abord de présenter une page de l'histoire de la science-fiction française. De ce fait, le livre propose une ambiance résolument soixante-huitarde, avec beaucoup de drogue et énormément de sexe au programme.

En fait, la plupart des textes sont à réserver à un public adulte et averti. Il est vrai qu'avec des titres comme Jouir du pouvoir ou La ville est un bordel, on peut deviner à quoi s'attendre, mais le fait est qu'une bonne partie du recueil tourne autour du sexe, décrit en long, en large et en travers, parfois banal, le plus souvent complètement dépravé. Prostitution, viols, viols que la victime finit par apprécier (beurk), viols en réunion, zoophilie, les actes déplaisants ne manquent pas. À force, cela m'a semblé déplaisant et un brin racoleur.

D'autant qu'à côté, les épigones de Jeury ne proposent que rarement des déclinaisons intéressantes du concept de la Ville. Entre leurs mains, celle-ci n'est le plus souvent qu'une toile de fond interchangeable avec n'importe quel autre univers de SF dystopique. C'est dommage, parce que ce sont toutes et tous de belles plumes qui manient la langue française avec talent et certains passages du livre m'ont vraiment impressionné. Peut-être aurait-il fallu approcher le concept avec davantage de recul ? La nouvelle que j'ai le plus apprécié est sans doute la dernière, dans laquelle Jean-Pierre Andrevon s'amuse à déconstruire (littéralement et figurativement) la Ville et les Serviteurs avec sa gouaille et sa malice habituelles.

Vous l'aurez compris, je n'ai pas vraiment accroché à Serviteurs de la Ville. Je salue tout de même la démarche des éditions Flatland, car au-delà de mon opinion personnelle sur ces textes, il me semble bienvenu d'avoir la possibilité de lire ces pages oubliées de l'histoire des littératures de l'imaginaire en France.